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Papizan Badar & Batsükh Dorj , musiciens touvas de Khoömii en Mongolie - © Sh Nomindari / 2016 Routes Nomades / Нүүдэлчин Зам Холбоо

Parlez-vous l’Unesco ? La musique, patrimoine de l’humanité…

A la mi-décembre, le raï algérien et le chamamé argentin devraient rejoindre le maqâm irakien, le chant polyphonique géorgien ou le carnaval de Barranquilla sur la « liste représentative du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité ». Comment obtient-on cette reconnaissance de l’Unesco ? Et qu’apporte-t-elle aux artistes et à leur public ? Eléments de réponse avec d’heureux promoteurs du maloya réunionnais, du khöömii mongol ou du fest-noz breton…

Johanni Curtet n’avait pas fini ses études lorsqu’il a participé à la rédaction du dossier d’inscription du chant diphonique mongol, le khöömii, sur la liste de l’Unesco. « J’étais doctorant en ethnomusicologie, j’étais encore en train de faire des recherches » se souvient-il. « J’ai été appelé par la commission nationale de la Mongolie pour l’Unesco. Je leur ai proposé de compléter le dossier, de corriger quelques oublis, d’en proposer une vision élargie ». « Je ne connaissais pas du tout le langage de l’Unesco », admet-il aujourd’hui. « J’avais quelques notions mais je ne m’étais jamais plongé dans la notion de patrimoine culturel immatériel. En relisant le dossier, j’ai commencé à me poser des questions. J’ai essayé de comprendre ce langage et les enjeux de ces dossiers. J’ai mis un certain temps avant de comprendre certains termes, même s’ils étaient en français ».

Nomindari Shagdarsüren, qui était alors chargée de projet à la commission nationale de la Mongolie pour l’Unesco, revient sur cette expérience : « On avait essayé de coordonner différents acteurs : les porteurs de tradition, les chercheurs, les fonctionnaires, les décideurs qui travaillent dans l’ingénierie culturelle. Le chant diphonique, c’est très compétitif. Chacun a envie de se démarquer. Les artistes n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble ». Tout s’est accéléré en 2009, quand la Chine a fait inscrire « l’art mongol du chant khoomei » au patrimoine de l’humanité. Une insulte pour les Mongols de l’autre côté de la frontière, qui ont fait inscrire leur propre pratique l’année suivante.

« L’inscription elle-même représente deux ans de travail » précise Nomindari. « On doit soumettre le dossier en mars de la première année. Il y a ensuite des aller-retours, des questions, des évaluations. Et, si tout se passe bien, l’inscription est considérée comme terminée à la fin de l’année suivante ».

 

Mangaljav - Л. Мангалжав / An Anthology of Mongolian Khöömii - Монгол Хөөмийн Сонгомол - Présentation de l’anthologie en 2 CDs que Nomindari Shagdarsüren et Johanni Curtet ont publié en 2017

 

Pour Charles Quimbert, « la préparation du dossier n’a pas été fastidieuse ». Ce chanteur et clarinettiste breton, longtemps président de Dastum, association de collectage et de sauvegarde du patrimoine oral, a piloté l’inscription du fest-noz sur la liste de l’Unesco et n’en garde que de bons souvenirs : « C’est du temps, c’est du travail mais c’est plutôt un élément positif : on l’a fait à plusieurs mains, on a essayé d’être le plus participatif possible, on est allé rencontrer des gens, on a pris en compte leurs remarques… C’est très fécond, comme méthode et comme démarche. Cela permet de mettre en mots un phénomène sur lequel on ne s’était pas beaucoup interrogé : le fest-noz, on y allait, on dansait, on buvait un coup, mais il n’y avait pas de débat à son sujet. Cela nous a permis de renouveler notre discours, d’apprendre à défendre nos pratiques avec des arguments internationaux ».

Charles Quimbert avec Roland Brou et Mathieu Hamon

 

Pourtant, lorsqu’on l’interroge sur les résultats concrets de l’inscription du fest-noz au patrimoine immatériel de l’humanité, Charles Quimbert reste réaliste : « pour le danseur en fest-noz, pour l’organisateur, peu de choses ont changé. Le nombre d’entrées n’a pas augmenté ». L’effet est ailleurs : « Les gens l’ont perçu comme une reconnaissance accordée à tous les danseurs, à tous les musiciens, à tous les organisateurs, à tous les bénévoles ».

A La Réunion aussi, « l’inscription du maloya au patrimoine culturel immatériel de l’humanité a apporté dans les mois, voire les années qui ont suivi un éclairage sur cette partie de la culture musicale réunionnaise » explique Guillaume Samson, co-auteur de l’essai L’univers du maloya : histoire, ethnographie, littérature. « Chez les militants et les partisans de cette musique qui ne se sont pas opposés à l’inscription (il y en a eu), elle a généré un sentiment de fierté et de reconnaissance culturelle sans précédent », assure l’anthropologue et ethnomusicologue, qui ajoute, taquin, « le fait que Danyèl Waro reçoive un Womex Award en 2010 n’est peut-être pas étranger à l’inscription du maloya en 2009. »

Danyèl Waro, ambassadeur du maloya

 

Quand certains s’inquiètent d’une possible folklorisation des pratiques musicales à l’issue de ce processus, Guillaume Samson se montre confiant : « Le maloya reste une musique dynamique, autant comme genre à part entière que comme source d’inspiration pour des musiciens qui jouent dans d’autres esthétiques (electro, jazz…) à La Réunion ». Johanni Curtet rappelle à ce sujet que, pour l’Unesco, «  le patrimoine immatériel est un patrimoine vivant, donc changeant. Le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel recommande de ne rien geler, de ne rien muséifier ».

« La définition du patrimoine immatériel est vraiment belle » complète Charles Quimbert. « On y retrouve la recréation permanente (rien n’est figé) ; elle accorde un rôle important aux personnes qui portent ces patrimoines ; elle parle de sentiment d’identité, de sentiment de communauté, ce qui est tout de même rare comme formulation en France ». D’ailleurs, pour l’ancien directeur de Bretagne Culture Diversité, ce qui a le plus changé en Bretagne depuis l’inscription de 2012, « c’est qu’aujourd’hui, on parle du patrimoine immatériel sans avoir l’impression d’avoir un gros mot dans la bouche. Cette notion implique une réflexion sur la diversité culturelle. Au-delà de nos spécificités, comment regarde-t-on les différences des autres, comment vit-on avec elles ? C’est un débat très contemporain, très actuel ».

Peut-être devrait-on être plus nombreux à apprendre le langage de l’Unesco pour participer à ce débat…

 

Pour aller plus loin :

- la liste des inscriptions à « liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité » en cours d’instruction à l’Unesco : www​.ich​.unesco​.org/​f​r​/​d​o​s​s​i​e​r​s​-​2​0​2​0​-​e​n​-​c​o​u​r​s​-​0​1​053

- le site de Routes Nomades, l’association de Nomindari Shagdarsüren et Johanni Curtet : www​.routesnomades​.fr

- le site du Pôle Régional des Musiques Actuelles de la Réunion : http://​www​.prma​-reunion​.fr

- le site de Dastum : www​.dastum​.bzh/

- le site de  Bretagne Culture Diversité : www​.bcd​.bzh/​f​r​/​b​r​e​t​a​g​n​e​-​c​u​l​t​u​r​e​-​d​i​v​e​r​s​i​te/

 

 

 

François Mauger

Né à Paris une année du chien, François Mauger a été le directeur commercial d'une radio privée burkinabè, travaillé pour Lusafrica, la maison de disques de Cesaria Evora, co-écrit un essai sur la notion de musique équitable, conçu plusieurs compilations (dont "Drop the debt" et, récemment, "L'Amazone" pour Accords Croisés), co-dirigé le magazine Mondomix, co-réalisé un documentaire sur les musiques noires (France Ô), intégré le comité éditorial du festival Villes des Musiques du Monde... Outre AuxSons, il collabore actuellement avec A/R Magazine voyageur.

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