Ces deux dernières années, profitant de la pause forcée de la pandémie, de nombreux·ses acteur·rices des champs de la musique se sont rassemblé·es pour approfondir des réflexions collectives et donner vie à des initiatives pour accompagner la mutation des pratiques face aux conséquences du changement climatique et à la vulnérabilité du secteur.
Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance - Buleria Sarkhat Al Ard (Le Cri de la Terre)
En 2021, Zone Franche lançait sa (mini) Convention Climat, inspirée de la Convention Citoyenne pour le Climat. Son objectif : proposer une trajectoire de transformations pour les musiques du monde prenant en compte les objectifs de l’Accord de Paris (80% de réduction des émissions d’ici 2050) et mettre le réseau en mouvement en faisant monter en compétence ses membres sur 4 thématiques principales – la mobilité des artistes, des publics, l’alimentation et le numérique. Des propositions concrètes, réalistes et faisant consensus ont été formulées par la cinquantaine de professionnel·les, intégrant à la fois l’urgence climatique et la nécessité de défendre la libre circulation des artistes internationaux. Le rapport, qui comprend un ensemble de 148 recommandations pour décarboner le secteur ainsi qu’un plaidoyer, ont été présentés en juillet à l’occasion de Jazz à Vienne.
La même année, le Réseau AJC et la SMAC Le Périscope s’attaquaient également à la question de la décarbonation du secteur. Cette coopération a permis de mener une étude carbone auprès d’un panel diversifié et représentatif : 4 lieux (de taille moyenne/grande) et 5 festivals (de capacité petite/moyenne), en milieu rural et urbain. Cette étude nationale nourrie de comparaisons à l’échelle européenne (Norvège et Pays-Bas), en mesurant la contribution du champ du jazz et des musiques improvisées au changement climatique, permet de fixer un plan d’action commun comprenant un ensemble d’objectifs clairement définis et mesurables. Parmi les pistes définies, on retrouve certaines actions concrètes également dessinées par le rapport de Zone Franche : agir sur les déplacements des publics, travailler sur la sobriété énergétique et sur les modèles de proximité, penser l’impact de l’alimentation, accentuer le travail en réseau.
Ces résultats démontrent également que les modèles portés par ces champs sont relativement vertueux et que des projets artistiques et culturels de qualité peuvent être compatibles avec les enjeux écologiques.
Le lien entre écologie, société et pratiques culturelles est également exploré collectivement par un réseau de festivals africains, illustrant la nécessité de contextualiser les enjeux et les outils, notamment en termes d’évaluation des pratiques. Le rôle de la justice sociale dans l’adaptation au changement climatique est clairement souligné par le dernier rapport du GIEC. Sur un continent qui n’est responsable que de 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, mais qui est l’un des plus menacé par les crises climatiques, des stratégies d’adaptation doivent être mises en place et accompagnées, y compris dans le secteur musical. C’est de cette réflexion qu’est né le Circuit Ecofest, dont le premier atelier de conceptualisation a été organisé par la Caravane Culturelle pour la Paix en février 2020 dans le cadre du Festival sur le Niger à Ségou (Mali). Rassemblant à l’origine 3 festivals (Festival sur le Niger et Festival au Désert au Mali et le Festival Taragalte au Maroc), le projet a déjà été rejoint par d’autres afin de mettre en place un réseau de festivals durables en Afrique, d’élaborer une charte et une feuille de route commune et de créer un comité de labellisation.
Ce programme se donne pour objectifs de réduire fortement l’impact négatif sur l’environnement par une meilleure gestion des déchets générés lors des évènements et une utilisation optimisée des ressources en eau et en énergie, le tout dans une démarche de développement et de valorisation des expressions artistiques et culturelles. Des échanges de pratiques entre festivals, ainsi que des actions de sensibilisation et de promotion de la durabilité et de la protection de l’environnement sont également mis en place, notamment auprès des publics et des communautés locales.
La sensibilisation des publics, c’est justement le cœur de la mission du mouvement Music Declares Emergency, né en Angleterre en 2019 et ayant maintenant donné naissance à des antennes à travers le monde. Rassemblant des artistes, des organisations et des professionnel·les de l’industrie musicale, son objectif est de capitaliser sur l’influence des artistes en lançant un appel à l’action climatique auprès du grand public par le biais de la campagne NO MUSIC ON A DEAD PLANET (pas de musique sur une planète morte). En collaboration avec d’autres acteurs de la musique britannique, MDE a commandé une étude à l’Université de Glasgow, dont le rapport Turn Up the Volume (monte le volume) est paru cette année, afin d’explorer le positionnement des fans de musique face à l’urgence climatique. Suite à une enquête menée auprès de plus de 2000 fans britanniques, il ressort que 82% d’entre eux·elles sont préoccupé·es par le changement climatique, contre 72% parmi les non fans de musique. Face à un public de plus en plus sensibilisé et exigeant, Matt Brennan, un des auteurs de l’étude, estime que ces résultats devraient « envoyer un message fort aux acteurs de l’industrie de la musique : labels, organisateurs, plateformes de streaming, artistes et à d’autres secteurs ; il existe un appétit pour ces initiatives et les fans soutiennent, et même exigent, une action plus audacieuse ».
Le rapport fait cependant également ressortir que 64 % des fans de musique ont déclaré qu’il·elles n’avaient jamais entendu parler d’une initiative de l’industrie de la musique en lien avec la question environnementale, et que seulement 3 % se sentent bien informé·es sur celles-ci. Les initiatives pour la transition écologique du secteur se multiplient, mais il reste encore du travail pour diffuser – et infuser – ces informations auprès du grand public.