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Cemican au Wacken Open Air 2018 - © CC 4.0 Andreas Lawen, Fotandi
Cemican au Wacken Open Air 2018 - - © CC 4.0 Andreas Lawen, Fotandi

Métal : Une musique du monde

Mon intérêt pour le métal, en tant que marocaine, est fréquemment chez les occidentaux une source d’étonnement. La présence surprenante de cette contre-culture au Maroc n’est pourtant pas un cas isolé : dans la banlieue de Hareré au Zimbabwé, au cœur des steppes de Mongolie, sur la côte Ouest de l’Inde ou en Arabie Saoudite, le métal est partout, niché dans les endroits où on l’attend le moins. Qualifié de style musical hermétique, occidental, ou plus trivialement de musique de « blancs », sa géopolitique donne pourtant le tournis.

Métal Sapiens a ressenti très rapidement le besoin de s’émanciper de son terreau et de sa forme originels pour se ramifier en d’innombrables genres et sous genres, traversant tous les continents et incorporant tous les styles de musique sur son passage.

Du plus concevable au plus improbable ; il n’est pas un genre musical qui ne se soit mêlé à la musique du diable. Même son ennemi juré, le rap, s’est accouplé avec lui.

Quant à l’appropriation du genre par les non occidentaux, il ne s’agit pas simplement d’une lubie mais d’une nécessité, d’une urgence. Tout le monde veut sa part du métal.

 

Vecteur d’identité, outil contestataire hybride capable de muer et de prendre mille visages, servant toutes les causes : politiques, sociales, philosophiques, écologiques, théologiques, et ce dans tous les recoins du monde. Aucune barrière ne peut se dresser devant lui, même dans les théocraties les plus despotiques où le contact avec ce style, aussi infime soit-il, peut mener directement en prison.

Mêler sa musique de prédilection à la musique traditionnelle de son pays, c’est résumer l’état d’esprit de la première génération de jeunes mondialisés dans les années 90. C’est aussi succomber en tant que musicien à l’intérêt artistique de créer un contraste : mélanger la musique que j’écoute avec mes grands-parents à la musique violente que j’écoute avec mes potes et que ma grand-mère exècre. 

Graver son identité dans le métal, c’est le rendre sien et par conséquent universel. Ce tropisme de posséder le métal en l’acculturant a également une part d’irrationnel, comme faire des milliers de kilomètres pour assister à un festival et planter son drapeau en arrivant sur le lieu du pèlerinage. Il y a quelque chose de mystique, d’indicible dans la relation de possessivité qu’on entretient avec ce style.

Dans cette fusion des genres, tous les coups sont permis. Les rythmes endiablés des batucadas percutent les riffs belliqueux de Sepultura dans Roots. Les Mésopotamiens de Melechesh invitent le Oud, la darbouka et les cithares pour invoquer convenablement les anciens dieux Assyriens.

 

Dans l’univers d’Orphaned Land, formation israélienne plus efficace que les accords d’Oslo, la musique traditionnelle arabe est malaxée à la musique juive pour former un bloc homogène qu’il suffit d’unir aux riffs métalliques. Chaque alliage est atypique.

 

Sans être égyptien pour un sou, Karl Sanders, leader du groupe culte de death-métal Nile, est incontestablement le plus égyptien des sud-caroliniens.

Égyptologue et égyptophile aguerri, il a dédié l’ensemble de la discographie ainsi que le nom de son groupe à la civilisation égyptienne antique. Usant et abusant du sistre, et du saz (un luth turc à manche long) dont émanent des sonorités envoûtantes, il a l’audace de les marier à des riffs de guitares étouffants. Il restitue ainsi l’atmosphère macabre des processions de pharaons trépassés qui parcourent, au son des gongs en cuivre et des incantations anciennes, la longue et laborieuse trajectoire menant à l’éternité.

 

Chaque pan de l’histoire de l’humanité et chaque parcelle des terres qu’elle a occupées peuvent être racontés en métal, quand ce dernier prend la forme d’une musique du monde.

Fait intéressant, l’accusation d’appropriation culturelle dans le style musical le plus « renfermé » du monde n’existe pas. Le métal est un havre de paix comparé à l’ambiance délétère qui sévit dans la pop culture, univers se voulant pourtant lisse et aseptisé et visant à toucher le plus grand nombre. Il se trouve paradoxalement, que les popstars sont guettées de prés et interpellées pour le moindre comportement qui sortirait de leur « champ culturel ». Ainsi, Katy Perry a du se justifier face aux accusations de racisme provoquées par sa prestation aux American Music Awards de 2013, où elle arborait une tenue de geisha. La même année, lors de la cérémonie des MTV Video Music Awards Miley Cyrus est accusée - je cite -d’appropriation de la culture Hip Hop lorsqu’elle a esquissé quelques twerks sur scène. Plus récemment, c’est le choix de Jennifer Lopez, chanteuse d’origine portoricaine, d’interpréter un medley en hommage au label mythique Motown (promoteur d’artistes afro-américains) à la cérémonie des prestIgieux Grammy Awards en 2019 qui a provoqué un tollé aux Etats-Unis. 

Dans la planète métal, le dyptique cheveux longs, t-shirt noir est adopté dans les 5 continents sans que les occidentaux ne s’en offusquent. Les riffs et les solis de l’album Demigod, signé par les polonais de Behemoth sont emprunts sans détour de sonorités orientales, pour le plus grand plaisir des auditeurs issus de l’Orient. Le public égyptien ne sourcille pas quand Karl Sanders de Nile base l’ensemble de son œuvre sur l’Histoire égyptienne, il en est flatté.


Le premier album de Sepultura est influencé de manière directe et évidente par Bathory. Les Nordiques ne sont pas montés au créneau pour dénoncer ces
Sud-Américains aux cheveux bouclés imitant des Suédois etc… Le métal est universel.


Pour revenir à l’acculturation musicale, le pagan métal fait d’une pierre deux
coups : mettre en lumière les cultures ancestrales et leur corollaire, la haine des religions du livre.

Contrairement aux franges les plus extrêmes du metal, ouvertement blasphématoires qui hurlent à gorges déployées leur haine du christ, le pagan métal dans son ensemble ignore, dans un mépris indifférent, l’existence même du christianisme en « canonisant » les dieux païens et en revisitant admirablement les chants anciens. Je pense ici à Heilung et Wardruna en particulier.

 

Pour compléter ce tableau, il est nécessaire de rappeler que la démarche d’incorporer la musique traditionnelle au métal peut avoir également comme but non d’universaliser le genre, mais de le sectariser. Dans les sous-genre les plus nationalistes de la scène pagan, les groupes se revendiquent comme gardiens de l’identité occidentale. Ils poursuivent un idéal de pureté qu’ils estiment niché dans les pratiques ancestrales antérieures aux religions monothéistes et à la mondialisation : les forces destructrices des cultures païennes, l’ennemi ultime. 

 

Qu’importe le mobile créatif, le métal du monde n’a pas fini de dépoussiérer le passé, d’exhumer des chants reculés, de commenter la marche du monde sur fond de sons désuets et contemporains. Gageons qu’il a encore de beaux jours devant lui !

 

Myriam Batoul Reggab 

Myriam Batoul Reggab
Myriam Batoul Reggab

Passionnée de heavy metal depuis sa jeunesse, Myriam Batoul Reggab est journaliste et réalisatrice à la télévision marocaine. Elle a été porte-parole du comité de soutien pour les 14 musiciens de Metal accusés de satanisme et emprisonnés en 2003 à Casablanca. Investie dans le festival marocain L’Boulevard depuis 2002 en tant que programmatrice et membre du jury dans la catégorie metal, elle a également été amenée à voyager régulièrement pour assister à des évènements en Europe, où elle a pu couvrir des festivals et interviewer des groupes dans le cadre notamment de sa chaine Youtube Morrochaos.

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