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Hemley Boum © New Bell (2016) - Ruben Um Nyobè dit Mpodol © D.R. - Blick Bassy © Justice Mukheli
Hemley Boum © New Bell (2016) - Ruben Um Nyobè dit Mpodol © D.R. - Blick Bassy © Justice Mukheli -

L’histoire longtemps cachée du Cameroun contemporain

Entretien avec Hemley Boum et Blick Bassy (1ère partie)

Lorsqu’en 2007 dans un discours à Dakar Nicolas Sarkozy dit « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », la romancière et poète Hemley Boum et le musicien, producteur et romancier Blick Bassy y entendent l’expression d’une ignorance et d’une légèreté à laquelle ils n’ont pas à répondre, ils ont d’autres challenges à relever comme penser et agir pour l’Afrique d’aujourd’hui. Mais ces deux artistes camerounais se sont penchés sur l’histoire de leur pays pour en faire ressortir une vérité loin du discours officiel de l’ancien colonisateur. Entretien à l’occasion du Black History Month.

Hemley Boum, avec son roman les Maquisards et Blick Bassy, à travers l’album 1958, ont tous les deux travaillé autour de la figure historique de Ruben Um Nyobè dit Mpodol, personnalité centrale de l’UPC (Union des Populations du Cameroun). Ce parti politique fondé en 1948 et interdit en 1955 militait pour une gouvernance du pays autonome. Entré dans la clandestinité il s’opposait à l’organisation coloniale puis à la gouvernance favorisée par l’Etat français qui, sous couvert d’indépendance, a organisé un système, nommé plus tard la Françafrique, dans lequel il conservait ses intérêts politico-économiques. Les résistants et leurs sympathisants furent combattus par la terreur, le mensonge et le sang.

Blick Bassy - Mpodol - 1958

 

Quelle a été votre motivation pour travailler sur ce sujet ?

Blick Bassy : Je suis né au Cameroun où j’ai grandi. Dans nos manuels scolaires il était dit que Ruben Um Nyobè était un terroriste, mais lorsque je rentrais dans mon village, proche de Boumnyebel où il a été tué (le 13 septembre 1958 ndlr), tout le monde se réclamait de lui. Entre le terroriste des livres d’écoles et le village où il était un exemple pour tout le monde, c’était compliqué pour moi. Ma mère a vécu deux ans dans la forêt avec mon grand-père. Ils habitaient à quelques kilomètres de Boumnyebel, dans la région où étaient les maquisards. Comme on torturait tous les adultes, car on les soupçonnait de savoir où ils étaient, ils avaient fui. Lorsque ma mère racontait cette histoire, c’était pour moi comme une espèce de conte et en grandissant j’ai eu envie de faire un hommage.

Je ressentais une sorte de malaise, me demandais ce que cela voulait dire d’être du Cameroun car les Camerounais ne l’ont pas pensé. Tous les modèles politiques, économiques, culturels ou éducatifs n’ont rien à voir avec leur réalité, leurs traditions ou même leur écosystème. J’ai grandi dans cet espace où tout est conditionné pour que lorsque l’on devient adulte, on ai envie d’aller voir le modèle original, car l’environnement est une sorte de fausse petite France, fabriquée à la va-vite. En plus c’est une espèce de prison d’où si l’on a envie de sortir il faut un visa, que l’on n’est pas certain d’obtenir même si on a l’argent nécessaire. Quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que le port ou l’aéroport sont gérés par des étrangers et que le président du Cameroun est aussi protégé par des étrangers. On nous dit que c’est notre pays mais ce sont les étrangers qui vivent le mieux dans cet espace censé être le lieu de notre émancipation. Je me suis rendu compte que toutes les personnes de ma génération ou celles d’avant ressentaient une sorte de malaise, presque une crise identitaire. Qui sommes nous réellement ? C’est très compliqué parce que l’on est dans une espèce de machine dans laquelle on essaye d’avoir une existence qui n’a rien à voir avec la réalité. En me posant ces questions j’ai pensé qu’il fallait que je remonte à la source pour comprendre et je me suis arrêté sur ce personnage de Mpodol. Ça m’a rappelé tout ce qui s’était passé avec l’histoire de ma mère sachant que mon père était de l’autre côté parce qu’il était dans la police avec les français, donc il participait à la chasse de ceux que l’on appelait les maquisards. Cette situation familiale était complexe. En remontant j’ai découvert tout ça, je suis allé questionner beaucoup de gens au Cameroun, mon grand-père m’en a reparlé en chuchotant parce qu’il avait toujours peur que l’on vienne le chercher.

Au delà du fait que Ruben se battait pour être libre, il soulevait déjà des questions qui sont toujours hyper présentes aujourd’hui, que ce soient l’égalité femmes-hommes, l’égalité salariale, le droit à travailler et à être payé comme il se doit. Il parlait aussi de la ségrégation et même de ce que certains appellent le racisme anti-blanc ou du tribalisme qui aujourd’hui est très fort au Cameroun. C’était quelqu’un qui avait une vision et une intelligence étonnantes. Il fallait qu’à ma façon je ramène cette histoire sur la table, parce que nous autres Camerounais, on n’a toujours pas fait le deuil de tout cela. On ne s’est pas arrêté, on a toujours continué à avancer dans cette espèce de couloir dans lequel le colon nous a mis et on avance sans savoir où l’on va.

 

Hemley Boum : En effet il y a une sorte de silence sur toute cette période. Comme Blick, j’ai grandi à Douala, j’y ai passé beaucoup de temps et suis complètement passée à côté de cette histoire, d’abord parce qu’elle n’est écrite nulle part, ni dans les livres d’école, ni dans la ville, ni dans les lieux, pourtant elle est là, il suffit de regarder, mais elle n’est pas désignée. On peut vivre toute une vie à Douala, toute une vie au Cameroun, sans avoir la moindre idée de ce qui s’est passé, ni de l’ampleur de ce combat là. Par un concours de circonstances tout à fait banal, je me suis aperçue que des membres de ma famille proche avaient été impliqués dans la lutte pour l’indépendance et avaient été tués. J’ai découvert que des villages que je croyais de tous temps avoir eu le même nom, avaient été déplacés et avaient été ramenés au bord de la route et que c’étaient les fameuses zones de pacification (zones délimitées par les militaires, censées êtres des lieux de regroupements de partisans de militaires, ils y pratiquaient, tortures, guerre psychologique ou déportation des populations, ndlr). Des personnes qui avaient des patronymes que je croyais être les leurs en avaient changé pour fuir la répression. Jusqu’au milieu des années 90, les femmes qui cultivaient, revenaient sur d’anciennes terres et découvraient des charniers et se contentaient de les refermer et de passer. Tout ça faisait partie de ce pays mais n’apparaissait nulle part.

Quand j’ai commencé à regarder, je me suis aperçue de l’immensité de la chose et surtout que cette période portait les prémices de tous nos désaccords présents. Tout ce qui n’avait pas été traité là continuait de puruler, de pourrir et d’empêcher finalement ce pays de fonder nation, de fonder peuple. Les personnes qui avaient tué les maquisards étaient encore au pouvoir et après avoir silencié ces évènements, ils avaient installé une forme de cacophonie, une forme de discours éclaté qui est aussi anxiogène que le silence. Alors j’ai décidé d’écrire les Maquisards, de créer une unité de temps, de situer cette action dans un village Bassa, de faire de Mpodol un personnage secondaire. Mpodol ça veut dire  »porte-parole », c’est comme ça que son peuple l’a appelé. D’une certaine façon, il a été désigné comme quelqu’un capable de donner sens à ce qui était en train de se dire, de traduire pour les autres et de traduire entre nous ce que nous étions en train de vivre. Dans ce pays où l’on cherche tellement quel est notre récit, ce qui fait de nous une nation, dans quoi nous nous inscrivons, ce qui fait de nous des Camerounais, je trouvais immense que le peuple ait décidé qu’il ne serait ni notre guerrier, ni notre libérateur, ni notre chef, mais notre ambassadeur. Ça en disait très long sur ce que nous voulions vraiment en tant que communauté, en tant que peuple.

Hemley Boum au micro d’Yvan Amar (RFI)

 

Seconde partie : « Histoire, fiction et musique camerounaise »

 

 

Références :

Hemley Boum : Les Maquisards, La Cheminante, 2015 / Dernier roman : Les Jours Viennent et Passent, Nrf Gallimard, 2019.

Blick Bassy : 1958 - Tôt ou Tard (2019) / Roman : Le Moabi Cinéma, Continents Noirs Gallimard, 2016.

Sur l’histoire de la résistance camerounaise :

Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsita, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971), La Découverte, 2011 / des mêmes auteurs chez le même éditeur, le condensé mais complet La Guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique, 2016.

 

Remerciements à Frédérique Briard

 

 

 

benjamin MiNiMuM

benjamin MiNiMuM

Benjamin MiNiMuM a été le rédacteur en chef de Mondomix, à la fois plateforme internet et magazine papier qui a animé la communauté des musiques du Monde de 1998 à 2014. Il est depuis resté attentif à l’évolution de la vie musicale et des enjeux de la diversité, tout en travaillant sur différents projets journalistiques et artistiques. Il a rejoint l’équipe rédactionnelle de #AuxSons en avril 2020.

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