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Carte des nations 2015 © Tourisme Autochtone -

Les musiques de Maku

« La musique est l’unique langage universel, 

le seul qui soit compris et parlée 

dans chacun des 195 pays de cette planète ».

Tomson Highway

 

Peu de gens de l’autre côté de keechigamaak, « la grande eau » comme appelle l’océan Atlantique les Eeyous, connaissent l’effervescence musicale autochtone dans l’environnement francophone au Kanata (Canada). Dix Premières Nations y occupent le Kébeq (Québec). Ce sont les Innus, Eeyous, Atikamekw, Mi’qmakw, Waban A’kis, Wolastoqiyik, Anishnaabes/Algonquins, Naskapis, Kanien’ke : àkas et Wendats. Aux 700,000 Amérindiens s’additionnent 13, 000 Inuits du Nunavik au Nord.

Après des contacts ayant mené à la dépossession territoriale et à un quasi-génocide culturel, voici une ère d’affirmation marquée par des changements politiques et institutionnels. Tant lors des rassemblements en territoires autochtones que sur les scènes de l’industrie des spectacles en villes, y vibre un univers artistique dynamique. Ses racines portagées par de talentueux musiciens autochtones les font nomades planétaires, partout sur le dos d’Yändiawish, la grande tortue, la Terre-Mère.

 

 

Nos musiciens sont des faiseurs de Makusham. Leurs vibrations sonores ont une origine sauvage parce qu’associée à celui que l’on nomme en langues algonquiennes Maku, l’ours. Hibernant dans les entrailles de la Terre-Mère, cet animal mythologique a la mémoire du territoire. Il suit les abeilles et le papillon vers les plantes médecines. Ayant transmis aux humains le rêve de s’envoler pour jouer, chanter et faire danser, autrement dit nomadisme et guérison, Maku symbolise la fusion du souffle animiste aux actuels rythmes musicaux festifs, rassembleurs et bienfaisants. De plus, l’oralité chantée en nos langues, incarne une force identitaire liant mouvements culturels et mouvances musicales. Chez bien des Autochtones le multilinguisme est un atout bien avant l’arrivée des langues coloniales. Cette polyvalence renforce, alors que la moitié des autochtones vivent en villes, le rôle des musiciens comme porte-voix de la revitalisation des langues autochtones, reconnu par l’UNESCO. Ajoutons leur aisance pour les complicités multi instrumentistes, multidisciplinaires et inter nations, un phénomène lié à la créativité musicale à proximité des arts visuels, théâtre et documentaires.

 

L’affirmation communautaire

Trente ans d’autodétermination communautaire aboutissent. La Première Nation des Innus, est certes le chef de file musical et rayonne dans les 54 réserves en Kébeq. Malioténam, communauté sur la Côte-Nord en est l’épicentre. Lieu d’origine du fameux duo Kashtin (1989), c’est aussi là le festival Innu Nikamu et de ses 36 éditions annuelles depuis 1984 et du studio de production musicale de Florent Vollant. S’ajoute le réseau des radios communautaires de la Société de communication Atikamekw-Montagnais diffusant en continu la musique autochtone dans les réserves. Aussi, la « route des Pow Wows » dans plus de quinze communautés participe à cette affirmation musicale en territoires autochtones. De plus, l’impact des excursions dans les réserves du projet de production vidéo du Wapikoni Mobile avec sa branche Nikamowin (Musique Nomade) stimule l’avènement de la relève. Enfin, loin d’oublier les précurseurs tels qu’Alanis Obomsawin, Buffy Sainte-Marie, Philippe Mackenzie, Robbie Robertson et Kashtin (Florent Vollant et Claude Mackenzie), on les célèbre par des documentaires et des prix hommages.

 

 

Ces éléments témoignent d’un solide développement musical en réseaux dans les communautés chez les Premières Nations. Les Galas Teweikan et les spectacles à Présence Autochtone à Tiötià:ke/Montréal en sont les vitrines autochtones urbaines. L’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (l’ADISQ) ouvre cette année seulement une catégorie autochtone à son Gala très médiatisé. Les invitations aux festivals festival sākihwē à Winnipeg et l’International Indigenous Music Summit à la Nouvelle Orléans font échos à cette ouverture internationale.

 

Nomadisme planétaire

En 2019 les étoiles s’alignent. Une masse critique créatrice incontournable pour la musique autochtone prend forme en Amérique. Et c’est sans conteste le maintien et la mise au goût du jour des rythmes des tambours et des chants traditionnels qui en sont les battements premiers. Ils se font entendre allant de la mise au goût du jour des chants traditionnels, du folk, country et rock, du blues, jazz et opéras, du rap, reggae, slam, musiques du monde, l’électro-pop jusqu’à la musique classique.

La prépondérance des tambours rappelle la place inaliénable faite aux Anciens en perpétuant les rythmes et chants traditionnels comme le fait avec fougue l’Innu Charles-Api Bellefleur. Sur les scènes urbaines, les tambours sociaux de musiciennes comme Odaya ou Moe Clark résonnent. Sur la route des Pow Wows, des groupes comme les Black Bear Singers (Atikamekw) métamorphosent en « tonnerre sacré » les grands tambours intertribaux.

 

 

Les récits chantés (« spoken word ») assurent les passages entre la tradition et l’hypermoderne. C’est le cas des joutes de chants de gorge katajjaits, par les femmes Inuites dont Tanya Tagaq et Élisapie Isaac. Les pas de l’ours et les vibrations du tambour s’électrifient sous les styles folk, country et rock via les Innus (Florent Vollant – mentor des jeunes générations et Prix du Gala Teweikan 2019, Scott-Pien Picard, Matiu, Maten, Innutin) et Atikamekw (Sakay Ottawa, Laura Niquay, Yvan Boivin-Flamand), ainsi qu’Anachnid (Crie). Y prennent place plusieurs complicités allochtones comme Nikamu Mamuitun – Chansons rassembleuses.

Elles deviennent rap avec l’Algonquin Samian, le groupe Naskapi Violent Ground, et le Miq’makw Q052, reggae avec le chanteur Innu Shauit, slam avec la poétesse Innue Natasha Kanapé Fontaine, blues et jazz avec la Wendat Andrée Kwe’dokye’s Levesque Sioui, le groupe Anishinabe Digging Roots, celui Inuit Quantum Tangle, le groupe Métis Kawandak et les Miq’makw Raymond Sewell et Backwater Township/Corey Thomas. Par leur maniement des tables-tournantes et synthétiseurs, des DJ comme Géronimo Inutik, l’artiste Ziibiwan et bien sûr A Tribe Called Red sont prêts pour les festivaliers de la planète électronique.

 

 

Que dire sinon que la musique classique s’autochtonise ? Il suffit de suivre les sillons du musicien Cri Tomson Highway signant le livret musical Tshakapesh joué dans quatre communautés par l’orchestre Symphonique de Montréal et son chef Kent Nagano. Ou d’écouter la voix de ténor de l’artiste Jeremy Dutcher mixant piano, tambour et enregistrement des chants traditionnels sur les anciens rouleaux de cire d’abeille pour chanter la Wolastok (le fleuve des Wolastoqiyik) dans sa langue. La chanteuse Andrée Kwe’doky’es Levesque Sioui s’est aussi inspirée de tels enregistrements pour créer la pièce Kwayaweh à Wendake avec l’orchestre philarmonique de Québec.

Au final, contre les méfaits environnementaux faits à la Terre-mère, les femmes artistes autochtones sont les guerrières de ce XXI’ siècle, et parmi elles, la chanteuse inuite Elisapie Isaac, Prix du meilleur spectacle au Gala Teweikan 2019. Sa dernière composition Nous avons marché a été entonnée par des milliers d’enfants à l’école le jour même des grandes marches mondiales pour le climat. Elle y évoquait encore toutes ces marches pour la justice envers les femmes autochtones. Cette pièce porte les vibrations d’espoir d’une révolution congelée au Nord-Est de l’Amérique. C’est celle de l’ensauvagement par la musique pour renouveler nos relations. C’est dire que les musiciennes et musiciens autochtones sont prêt.es à traverser à rebours les océans pour décoloniser les scènes outre-mer.

 

 

Documentaires : 

- Catherine Bainbridge et Alfonso Majorana (réal.), Rumble. L’influence amérindienne sur la musique populaire, Rezolution Pictures, 2018.

- Kevin Bacon-Hervieux (réal.) Innu Nikamu : chanter la résistance, Vidéographe, 2018.

- Kim O’bomsawin (réal.), Du Teiweikan à l’électro-pop, voyage aux sources de la musique électro-pop, 53 minutes, Production Terre Innue, 2019.

- Daniel Roher (réal.), Once Were Brothers : Robbie Robertson and The Band, White Pine Pictures, 2019.

 - Éli Laliberté (réal.),  Florent Vollant, le Faiseur de Makusham, Les Percéides, 2019.

 

 Lectures : 

- Véronique Audet, Innu NIkamu. L’innu chante. Pouvoir des chants, identité et guérison chez les Innus, Québec : PUL, 2012.

- Tomson Highway, Pour l’amour du multiliguisme. Une histoire d’une monstrueuse extravagance, Montréal : Mémoire d’encrier, 2019.

- Tanya Tagaq, Croc fendu, Montréal : Alto, 2019.

 

En collaboration avec :

 

Guy Sioui Durand

Guy Sioui Durand

 

Wendat (Huron), Guy Sioui Durand est un sociologue (PH.D.) et critique d’art, commissaire indépendant et conférencier-performeur. Il porte son regard sur l’art autochtone et l’art actuel. D’un côté, il met l’accent sur la décolonisation des esprits par le ré-ensauvagement de nos imaginaires et le renouvellement des relations. De l’autre, il se dit qu’il faut changer le monde par l’art action, et l’art action par l’art autochtone vivant pour peu que le spectaculaire s’oppose au spectacle. Enseignant l’initiation à l’art autochtone aux l’institutions Kiuna et l’Uqam, Guy Sioui est l’auteur des ouvrages l’Art comme alternative (1997), de Riopelle. Indianité (2002), de l’Esprit des objets (2013) et de nombreux articles dont Décolonisation de l’art par l’art autochtone (Liberté, 2018). En 2018-2019, il a été commissaire de la résidence de création Toronto’. Trialogue au Labo à Toronto, du Rassemblement Internations d’Art Performance Autochtone (RIAPA) à Wendake, de l’exposition De Tabac et de Foin d’odeur. Là où sont nos rêves au Musée d’art de Joliette et de l’événement in situ La Tente parlante dans le cadre de la Manif d’art 9 à Québec.  www.siouidurand.org.

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