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Miatta Fahnbulleh.
Miatta Fahnbulleh - © Music In Africa

Les femmes dans l’industrie musicale du Liberia

Cet article a été rédigé pour Music In Africa. #AuxSons l’a traduit en français et partagé dans le cadre d’un partenariat média. Pour retrouver l’article en anglais, rendez-vous sur le site de Music In Africa.

Depuis les années 1960, l’industrie musicale du Liberia est dominée et contrôlée par les hommes. Pourtant, avant l’arrivée de l’industrie du disque durant cette décennie, les femmes présidaient les cérémonies musicales traditionnelles. Le contrôle de l’industrie musicale par les hommes, qui dure maintenant depuis plus de soixante ans, n’a cependant pas empêché les femmes de briser les barrières, de toucher un public et de rivaliser avec leurs homologues masculins. 

 

Les pionnières

Après presque 10 ans de contrôle de l’industrie par les hommes, des musiciennes comme Fatu Gayflor, Yatta Zoe et Miatta Fahnbulleh émergèrent dans les années 1970 et établirent une forte présence féminine dans la musique libérienne. L’histoire du succès de ces femmes se fit sur fond de barrières culturelles restrictives et de stigmates sociaux qui les empêchèrent de faire de la musique leur carrière professionnelle.

Dans sa thèse de doctorat intitulée Cultural Colonialism and the Copyright Phenomenon in the Emerging Liberian Popular Music Industry : 1970-85 [Le Colonialisme culturel et le phénomène du droit d’auteur dans l’industrie émergente de la musique populaire libérienne : 1970-1985], le Dr Timothy Nevin explique que les musiciennes étaient régulièrement stigmatisées et communément appelées « grona girls ». Selon Nevin, citant le linguiste John Singler, le terme « grona boy » désigne un garçon qui a grandi dans la rue, tandis que ce terme appliqué aux femmes évoque généralement la promiscuité, la débauche ou l’immoralité.

C’est une des raisons pour laquelle le père de Miatta Fahnbulleh, H. Boima Fahnbulleh, Sr., politicien et diplomate, désavoua sa fille après qu’elle eut rejeté sa demande de ne pas poursuivre une carrière musicale. Le père de la chanteuse lui refusa même la chance de participer à un concours de chant pour lequel elle avait auditionné, bien qu’elle ait tout de même réussi à obtenir la seconde place, après avoir été jugée sur cassette enregistrée.

 

Suite à une carrière décevante aux États-Unis, Fahnbulleh rentra au Liberia en 1974 et devint rapidement une superstar. Elle eut l’honneur d’être la première chanteuse libérienne à se produire en solo lors d’une inauguration présidentielle et d’une cérémonie de remise du prix Nobel de la paix.

Suivant les traces de Miatta Fahnbulleh, il y eut la regrettée Yatta Zoe, la « reine de la folk libérienne », dont la musique était très appréciée des Libériens, quel que soit leur âge ou leur religion. « Ma Zoe », comme on l’appelait affectueusement, s’était fait connaître pour ses chansons à succès comme « You Took My Lappa », « All the Pocket Pickers » et « Young Girls Stop Drinking ». 

Selon Yatta Zoe, les débuts de la scène musicale libérienne furent marqués par un manque de respect pour les artistes et surtout les musiciennes. Au sommet de sa carrière et malgré ces circonstances difficiles, elle se produisit en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord, où elle se lia d’amitié avec des musiciens de renom tels que le défunt pionnier nigérian de l’afrobeat Fela Kuti et la Sud-Africaine Miriam Makeba.

Princess Fatu Gayflor, chanteuse libérienne de premier plan des années 1980, se produisait dans les principaux lieux et festivals de musique du monde entier. Née dans le comté de Lofa, Gayflor, alias « la voix d’or du Liberia », était passionnée de musique dès son plus jeune âge et apprit à jouer du sékéré, un instrument de musique local de la société Sandé. Gayflor fut l’une des musiciennes les plus célèbres du Liberia. Elle sortit trois albums très appréciés qui ont toujours un impact à ce jour.

 

La nouvelle génération

À la fin de 14 années de guerre civile au Liberia, lesquelles avaient mis un terme aux carrières musicales des artistes susmentionnées, une nouvelle génération de musiciennes commença à émerger dès 2003. Des musiciennes telles que Tokay Tomah, Kanvee Adams, Queen V, Peaches et Sweetz ouvrirent la voie à d’autres musiciennes du pays comme Lady Murphy, Lady Skeet, Angie Tonton et J Glo. 

Avec une carrière de plus d’une décennie, la regrettée Tokay Tomah décédée en 2007, sortit six albums studio. Elle devint populaire grâce à ses chansons à succès « Chay Polo » et « Open the Door » sorties au début de l’année 2000, mélangeant la musique traditionnelle libérienne et le genre émergent hipco.

 

Queen V, l’autoproclamée « déesse du hip-hop », devint la première artiste féminine de l’histoire de la musique libérienne à enregistrer un single de rap, « Far Way to Go », à une époque où les opportunités pour les femmes de la scène hip-hop se faisaient rares. Le hipco est la version libérienne du rap, qui combine hip-hop, R&B et rimes traditionnelles en pidgin local.

Queen V est largement reconnue pour ses textes uniques et son originalité, lesquels ont contribué à définir le son de la musique hipco dans le pays. Depuis ses débuts en 2006, elle a sorti plus de 10 singles et plusieurs succès en collaboration avec d’autres artistes. En 2014, la MC est devenue la première rappeuse à remporter le prix convoité de la chanson de l’année des Liberian Entertainment Awards pour son tube « Jue You Bad ».

 

Autre artiste féminine de premier plan, Kanvee Adams a exporté avec succès le gospel libérien au-delà des frontières du pays. Elle est également la première artiste gospel libérienne à être nominée aux prestigieux Kora Awards.

 

La représentation des femmes dans l’industrie musicale libérienne

Malgré ces réussites, l’industrie musicale au Liberia reste dominée par les hommes. Sur l’ensemble de la musique diffusée au Liberia, seul 1 % est le fait d’une artiste féminine.

Le fossé des inégalités est encore plus inquiétant lorsqu’il s’agit de femmes occupant des fonctions de direction dans l’industrie musicale. Bien qu’elles soient de grandes consommatrices de musique au Liberia, les femmes n’occupent que 0,01 % de postes à responsabilités.

L’artiste libérienne internationale, Angie Tonton, déclare : « Lorsque l’on examine la répartition des sexes sur des postes plus techniques tels que l’ingénierie du son ou la production musicale, l’écart se creuse encore davantage en raison de l’environnement hostile créé par les hommes. »

Concernant la rémunération des performances, l’écart se creuse encore, car les artistes féminines gagnent moins que leurs homologues masculins. Cette situation est aggravée par le fait que les femmes artistes sont moins susceptibles d’être interviewées ou de faire l’objet de couvertures médiatiques dans les journaux, les magazines, la radio et la télévision.

Cet article a été rédigé pour Music In Africa. #AuxSons l’a traduit en français et partagé dans le cadre d’un partenariat média. Pour retrouver l’article en anglais, rendez-vous sur le site de Music In Africa.

 

 

Robin Dopoe Jr

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Robin Dopoe Jr est un journaliste libérien spécialisé dans les arts et la culture. Il écrit notamment pour le Daily Observer basé à Paynesville au Liberia, ainsi que pour Music In Africa.

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