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Les avatars de la Musique Indienne

Pour les indiens la musique remonte à l’origine du monde. A travers les siècles elle a développé une identité forte qui lui a permis d’accueillir de nombreuses influences étrangères sans rien perdre de son éblouissante nature.

 

Dans la mythologie indienne la vibration sonore « aum » précède la vie et engendre les dieux. Le panthéon hindouiste est peuplé de musiciens. Sur les battements d’un tambour, Shiva anime l’univers par sa danse. Sarasvati, fille et femme de Brahma et déesse des artistes, joue de la vina, l’ancêtre des cordophones indiens. Krishna, avatar humain de Vishnu, séduit les fidèles et les jeunes femmes au son de sa flûte. « Nada Brahma », le son est divin et la musique est d’essence sacrée.

Les premières musiques recensées en Inde sont des chants dévotionnels apparus, entre 1500 et 800 ans avant notre ère, dans les textes sacrés védas.

De multiples formes populaires chantées, dans lesquelles la dimension mystique est souvent présente, se sont développées depuis et un système musical sophistiqué s’est mis en place.

 

Jasraj Meera Bhajan

 

Les musiques savantes, hindoustani au Nord et carnatique au Sud sont des musiques monodiques, qui n’utilisent ni accords ni notes superposées, mais tirent profit des intervalles entre deux tons. Elles partagent un fond commun millénaire basé sur l’usage d’un halo sonore, obtenu par des instruments de bourdons et le principe du raga. Un raga est une trame à travers laquelle le musicien s’exprime en respectant des notes, une intention et un déroulement précis.

Ce qui sépare ces deux musiques sont les apports transmis par la civilisation musulmane à travers des conquêtes arabes, turques ou persanes au Nord du pays. Durant la période de l’empire Moghol (1527-1707) l’Inde du Nord connait un âge d’or culturel et artistique. De nouvelles sources d’inspiration et de nouveaux instruments apparaissent, comme les tablas, le pakhawaj, le sarod ou le sitar.

Au 19éme siècle, la colonisation européenne et surtout britannique introduit de nouveaux instruments dans le paysage musical indien.  Les cuivres inspirent des fanfares dans différentes régions, le violon trouve sa place dans la musique carnatique et l’harmonium est adopté comme soutien à des formes de chants dévotionnels (qawwali, bhajan…) En 1940, le musicien hawaïen Tau Moe introduit la slide guitare en Inde du Nord où elle est choisie comme instrument par certains solistes.

 

Debashish Bhattacharya (slide guitar)

 

La musique indienne commence aussi à s’exporter en Occident. Elle se confronte aux styles musicaux qui y évoluent et attire de nombreux artistes étrangers.

 

De gauche à droite : Ravi Shankar, Allaudin Khan et Ali Akbar Khan (photo V.V. Krishnan/Hindu Photo Archives)

 

Dans les années 30, avant de suivre un enseignement traditionnel auprès de son gourou, l’influent joueur de sarod Allaudin Khan, Ravi Shankar est membre de la troupe de son frère danseur Uday. Il n’a qu’une dizaine d’années, mais danse, joue de divers instruments et parcourt le monde. Il découvre les grands interprètes classiques en Europe ou les pionniers du jazz aux Etats-Unis.

 

Ravi Shankar et Yehudi Menuhin

 

 

 

Dans les années 60, il se lie avec le violoniste classique Yehudi Menuhin avec lequel il collabore tout au long de leurs vies. Fin 64, Shankar rencontre John Coltrane à qui il transmet quelques clés sur le système de la musique hindoustani. Grâce à son amitié avec George Harrison des Beatles, Shankar décuple son audience et se frotte au monde de la pop musique. Il joue à Monterey (67) à Woodstock (69) et inspire à Harrison l’organisation du concert caritatif pour le Bangla Desh (72).

 

Ravi Shankar à Monterey Pop (67) avec Alla Rakha aux tablas

 

Durant toute sa carrière, Shankar joue de la musique hindoustani et expérimente des rapprochements avec d’autres formes. Il écrit des symphonies ou concertos pour sitar et orchestre. En 1987, sur l’album Tana Mana, il utilise des instruments électroniques en compagnie d’Harrison et de Peter Baumann (Tangerine Dream). L’année suivante il enregistre avec des musiciens russes (Live In Kremlin) et concrétise en 89, sa relation avec le compositeur minimaliste Philip Glass (Passages 89).

 

                                                              

Call of The Valley de Shiv Kumar Sharma, Brij Bhushan Kabra et Hariprasd Chaurasia

 

Bien sûr, Ravi Shankar n’est pas le seul musicien indien à faire le lien entre l’Est et l’Ouest. A Bollywood, dès les années 50, des compositeurs adoptent les nouvelles tendances musicales du monde pour en habiller certaines comédies musicales. En 1967 le joueur de santour Shiv Kumar Sharma, le guitariste Brij Bhushan Kabra et le flûtiste Hariprasd Chaurasia crée « The Call of the Valley » premier album concept indien qui raconte la journée d’un berger. En 1968, le joueur de tabla Alla Rakha, complice de Shankar et père de Zakir Hussain, enregistre avec le batteur de jazz Buddie Rich.

 

Remember Shakti (Shiv Kumar Sharma (santour) John McLaughlin (guitare), Zakir Hussain( tabla), V.Selvaganesh (percussions)

 

En 1974 le guitariste anglais John Mc Laughlin crée le groupe Shakti qui rassemble autour de lui des virtuoses indiens.

 

Talvin Singh

 

 

Dans les années 90, au contact des scènes rock, hip-hop et électro britanniques, des musiciens des diasporas du sous-continent forment le mouvement Asian Underground dont Talvin Singh, Nitin Sawhney ou FundaMental sont des personnalités marquantes.

 

Malkit Singh « Mida Touch » Bhangra

 

En adoptant des éléments des musiques des dancefloors occidentaux, les musiciens pendjabi de Londres réinventent le bhangra, une danse et une musique qui accompagnaient traditionnellement les fêtes de la moisson et a depuis adopté ces nouvelles normes sur son sol. Des musiciens traditionnels s’inspirent aussi de techniques venues d’Occident, comme les Barmer Boys du Rajasthan qui ajoutent des parties vocales de beat box à leurs chants où se font remixer par des DJ électro comme Ravana de New Delhi.

 

Anoushka Shankar & Pepe Habichuela (Traveller)

 

Ravi Shankar a formé de nombreux musiciens dont sa fille, la sitariste Anoushkha Shankar, héritière du répertoire paternel. En tant que compositrice, elle suit une voie personnelle où l’Orient et l’Occident dialoguent. Elle collabore avec sa demi-sœur Nora Jones, Karsh Kale ou Nitin Sawhney. En 2011 Traveller explore magnifiquement les points de rencontres entre l’Inde et le flamenco.

 

Ghazal (Shujaat Hussain Khan & Kayan Kahlor

 

Ravi Shankar est le joueur de sitar le plus connu au monde, mais dans son pays de nombreux amateurs portaient plus d’estime à son rival Vilayat Khan. Cet immense joueur de sitar est resté fidèle à la musique hindoustani jusqu’à sa mort en 2004, mais son fils Shujaat, sitariste surdoué, possède un jeu d’une grande modernité. Il a crée le duo Ghazal avec le joueur de kamantché iranien Kayan Kahlor (Ghazal), mené une fusion remarquable avec les musiques d’Inde du Sud et d’Afrique de l’Ouest dans le projet Strings Traditions ou collaboré avec des jazzmen américains.

 

Cette histoire est bien sûr incomplète mais surtout loin de s’achever et de nous surprendre.

Benjamin MiNiMuM

 

Benjamin MiNiMuM

Benjamin MiNiMuM a été le rédacteur en chef de Mondomix, plateforme internet et magazine papier qui a animé la communauté des musiques du Monde de 1998 à 2014.  Il collabore aujourd'hui avec de nombreux sites de contenus musicaux et est rédacteur associé à #AuxSons.  Il contribue en tant que journaliste à des conférences, des expositions thématiques ou des objets audiovisuels, tout en menant ses propres projets de créations artistiques.

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