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L’accordéon : Instrument de musique sans frontières

 

Au début du 19ème siècle, on se devait d’inventer un nouvel instrument de musique imitant la voix humaine. En Europe, l’affaiblissement de la noblesse et l’apparition d’une puissante bourgeoisie en pleine période romantique imposait ses vues sur les arts et la musique.

Dès lors, les luthiers, facteurs d’instruments mais aussi des scientifiques dans toute l’Europe cherchèrent à réaliser cet instrument de musique nouveau et révolutionnaire, d’abord avec des cordes puis des anches en roseau simple, puis double, des tuyaux comme ceux des orgues mais rien de ressemblait assez à la voix.

Alors on se souvint d’instruments chinois qui avaient comme principe musical l’anche libre métallique.

Ils avaient été révélés par deux Jésuites, le premier dans son « traité d’harmonie Universelle » (1636) et surtout par le Père Amiot parti évangéliser des « sauvages » en Chine, qui tomba sous le charme de la culture millénaire de l’empire du milieu. Il publia un livre, « Mémoires sur la musique des chinois tant anciens que modernes » (1779) et fit parvenir à son mécène français deux shengs (orgues à bouche) de la plus belle facture.

Sheng

Le Laos possède également toute une variété « d’orgue à bouche », le khen

Bouseung Synanone Khen laossien

On s’en souvint 150 ans plus tard et ce fut une frénésie pour réaliser un instrument expressif. De nombreuses inventions musicales virent le jours, des dizaines de brevets furent déposés, mais l’invention reviendra à un facteur de piano viennois d’origine  arménienne qui passa en 1829 un brevet pout un « Accordion ».

L’instrument tant attendu était né ! Ce sera à Paris, sous le nom définitif d’accordéon que son envolée aura lieu avec sa version dite romantique dans les mains d’une grande « prêtresse », Louise Reisner qui, jusque dans les années 1870 joua de son accordéon dans tous les salons et même à l’opéra de la capitale, faisant s’évanouir de jeunes hommes, au paroxysme du romantisme en entendant une voix aussi céleste.

Pendant qu’en France l’accordéon se complait dans les salons bourgeois parisiens, en Italie Paolo Soprani et en Allemagne Mathias Hohner perfectionnent l’instrument et mettent en place, surtout Hohner de redoutables structures de distribution et de « marketing », qu’ils allaient pratiquer avec une stupéfiante réussite.

Ils s’apprêtaient, sans l’imaginer à l’époque, à conquérir les musiques populaires sur toute la planète.

Peu de pays allaient échapper à ce nouvel instrument à part peut être l’Afrique noire, qui connut au tournant du 19 et du 20ème siècle une vogue pour l’harmonica, également fabriqué et distribué par la firme Hohner.

Des cousins qui ont pour noms : concertina et bandonéon, s’introduisirent dans les traditions populaires laissées libres par l’accordéon.

Ce dernier devint diatonique puis chromatique avec des claviers à touches bouton ou à touches piano. En quelques années les musiques des peuples du monde allaient faire chanter les anches libres  (la Voce en italien) d’un nouvel instrument de musique.

Cet article est un survol partiel de quelques traditions donnant, je l’espère, l’envie d’en découvrir de nombreuses autres.

La musique a toujours été un formidable vecteur pour aller à la rencontre des cultures d’ailleurs, l’accordéon en est certainement un des plus étonnants, par son parcours et son intégration spontanée dans le grand concert des musiques des peuples du monde.

 

En Afrique noire l’accordéon résonne dans peu d’endroits, mais en Afrique du Sud le concertina (inventé en 1829 par l’anglais Charles Wheatstone) sous le nom du fabriquant italien «  Bastari » était très prisé des communautés Zoulou. Les tribus le considéraient comme un « moyen de transport !» En effet comme Johnny Clegg le décrit en octobre 1980 lors d’une intervention autour de sa thèse à l’université de Rhodes « The music Zulu Immigrant workers in Johannesburg : A Focus on concertina and guitar », le joueur de concertina donnait le rythme de la marche avec sa musique et sa cadence pour permettre à une colonne d’hommes partant de chaque village, de rejoindre les mines, éloignées de plusieurs kilomètres.

Concertina Zoulou

 

Madagascar est sans conteste un pays d’accordéons, de tous les accordéons : touche boutons chromatique, diatonique, touche piano (l’accordéon touche piano fut inventé en 1842 par Monsieur Bouton !) et même concertina. Ce sont des milliers de musiciens qui font sonner les anches. L’instrument étant arrivé dès la fin du 19ème siècle par des marins malgaches ayant parcouru toutes les mers du globe.

Aujourd’hui la pauvreté du pays fait que les instruments sont en très mauvais états, mais le génie local permet à des musiciens de jouer sur des instruments rafistolés par d’incroyables réparateurs.

En France on avait découvert cette musique en provenance de Madagascar avec le merveilleux Régis Gisavo qui par son style et ses rythmes apporta un sang nouveau à l’accordéon en Europe.

 

 

 

On peut également se rappeler de musiciens trop tôt disparus : le lumineux Jean-Donné Ramananerisoa, ayant fait partie du Ny Malagasy Orkestra et le gaucher magnifique Jean-Maryse Rabesiaka dit Médicis.

Médicis

Ils sont des dizaines de milliers sur la grande île à jouer pour la danse, les mariages et les enterrements sur l’instrument à soufflet, celui-ci ayant supplanté l’historique Valiha.

 

L’accordéon devient souvent le symbole d’une communauté déplacée. Comme le disait la publicité de Mathias Hohner au début du 20ème siècle pour vanter les qualités de l’accordéon : « Pas lourd, pas cher et toujours juste ». Les mexicains immigrés au États-Unis, principalement au Texas, eurent vite fait de l’adapter à leur musique traditionnelle en créant un style hybride nouveau : le Tex-Mex. La famille Jiménez dont Flaco est la star joue sur leur Hohner diatonique 3 rangs.

Flaco Jiménez

 

En Louisiane les modèles d’accordéons diffèrent, on le nomme mélodéon : ils n’ont qu’un rang à la main droite et deux basses à la gauche. Des musiciens historiques comme Nathan Abshire ou le fantastique Bee Fontenot en ont fait l’instrument de la musique des « Français d’Amérique ». Sur son modèle chromatique touches piano, Clifton Chénier inventa la version créole de la musique cajun : le Zydeco. « Laisse le bon temps rouler » disait-il, l’accordéon en est le symbole.

Nathan

 

Bee

 

Broussard

 

L’accordéon instille ses rythmes dans toute les Caraïbes et l’Amérique du Sud : en Colombie avec le vallenato, à Saint-Domingue avec le merengue qui a sa Yvette Horner locale en la personne haute en couleurs de Féfita la Grande.

Fefita la grande

 

 

 

Le nord de l’Argentine a le chamamé dont Raul Barboza est l’un des révélateurs en France. L’Argentine verra naitre au début du 20ème siècle une nouvelle musique populaire urbaine : le tango, au son du Bandonéon lui aussi arrivé d’Allemagne.

Bandonéon Argentine

 

À la même époque à Paris, forgée par la rencontre entre deux immigrations, une de l’intérieur : les auvergnats et une du sud : les italiens, le musette et la java allaient naître, codifiées certains diront inventées par un tourangeau né de père inconnu : Émile Vacher.

 

Même sur l’Ile Rodrigues de 18 km par 8 km, perdue dans l’océan indien à presque 600 km à l’Est de Maurice, sur cette Cendrillon des Mascareignes, ce sont quelques dizaines d’accordéonistes qui font sonner les quadrilles, laval, sega … depuis plus d’un siècle.

Rodrigues

Des joueurs de diatonique Finlandais, Italiens, Basque, Irlandais se regroupent au sein des « Samuraï », une formation surprenante et contemporaine bien qu’issue des musiques dites traditionnelles.

Samuraï

 

En France Fixi (François-Xavier Bossard), après avoir pratiqué un « rock musette » bien à lui avec son frère au sein du groupe Java, mêle aujourd’hui son clavier, ses anches et son soufflet au reggae de Winston Mc Anuf.

Fixi

 

Pour ma part je garde une véritable tendresse pour les hommes et les femmes d’Azerbaïdjan qui font sonner avec des accents orientaux le Garmon, encore une mutation réussie de l’instrument à soufflet.

Azerbaïdjan

Restez curieux, les oreilles aux aguets, le petit instrument de musique romantique avec 5 touches, inventé au début du 19ème siècle, n’a pas fini de vous surprendre.

Philippe Krümm

Philippe Krümm 

C’est la déception de ne pouvoir, à 15 ans, devenir pilote de course à moto qui le poussera vers la musique ! Dès lors, il sera de toutes les aventures de ce que l’on nommera en France le folk, les musiques traditionnelles puis les musiques du monde.

Après des études de marketing, il se consacre à l’ethnomusicologie de la France à Nanterre, puis à l’organologie au conservatoire supérieur de musique de Paris et à l’acoustique musicale à Jussieu. Il sera chargé de mission pour les musiques traditionnelles au Ministère de la Culture, à la Direction de la musique (1982 -1989).

Fondateur des labels Silex et Cinq Planètes, il fut directeur des “Rencontres Internationales de Luthiers et Maîtres Sonneurs” de Saint-Chartier.

Rédacteur en chef et fondateur des magazines Trad’Magazine, Accordéon & Accordéonistes, chroniqueur à France Musique, auteur de nombreux livres et articles sur les musiques populaires et les instruments à anche libre métallique.

Journaliste depuis la fin des années 1970 il voyage à la rencontre des peuples, de leurs musiques et de leurs instruments.

Il participe à de nombreuses expertises et expositions pour différents musées dans le monde. Il a eu le plaisir et le privilège d’assister Alain Vian (frère de “l’autre”, historique et passionnant antiquaire en instruments de musique à Paris) sur des ventes aux enchères. Il anime également de nombreux colloques et conférences sur l’histoire et l’organologie des instruments de musiques populaires. Directeur artistique des salons de l’accordéon et du violon à

Paris  à la Bellevilloise. Il est fait chevalier des arts et lettres (2007).

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