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Pilato -

La Zambie 50 ans après le Zamrock

Un demi-siècle après l’âge d’or du rock zambien le pays vibre toujours aux métissages sonores de leur culture locale avec les musiques actuelles. Mais quand de nombreux artistes rêvent surtout de gloire et d’argent, le rappeur Pilato profite de sa popularité pour entrer de plain-pied dans le débat social et politique. Quitte à se faire des ennemis très haut placés.

La Zambie ? Selon les oreilles occidentales de ce nouveau siècle, elle pourrait se résumer à deux visages. Pour les esgourdes prisant les rééditions africaines, ce pays enclavé d’Afrique Australe, second producteur de cuivre du continent, aurait le visage de Rikki Ililonga, du groupe Musi O Tunya (traduction en langue tonga des chutes du Zambeze). Le natif de la province du Nord-Ouest est l’un des derniers survivants d’une génération de musiciens zambiens décimés par le SIDA, qui, toutes guitares Fuzz dehors, dessinaient au milieu des années 70 le son que le journaliste radio zambien Manasseh Phiri, décédé en 2019, baptisera du nom de Zamrock : soit un fascinant gisement de rock psychédélique qui fait aujourd’hui la joie des diggers en pépites continentales.

Pour les plus jeunes, amateurs de musiques urbaines, la Zambie d’aujourd’hui aurait l’attitude, l’allure et le flow de l’australienne Sampa The Great, aux racines zambiennes, dont le video-clip de Final Form (tiré de son dernier album multiprimé The Return), marque son retour au pays natal.

 

La réputation du rappeur Pilato ( « People in Lyrical Arena Taking the Power »),  alias Fumba Chamba, 36 ans, reste, elle, cantonnée à la jeunesse et aux habitants des townships de ce pays de 18 millions d’habitants. Mais elle ne devrait pas tarder à rayonner hors des frontières de l’Afrique australe. Sur scène comme dans son quotidien, Pilato est en effet tout à la fois le rebelle calme de la société civile zambienne et l’une des bêtes noires du Patriotic Front, le parti au pouvoir. L’année prochaine, les Zambiens participeront au match retour de 2016, qui opposait le président sortant Edgar Lungu à l’homme d’affaires Hakainde Hichilema, de l’UNDP. L’influence de Pilato dans les townships du pays sera déterminante…

Féru de poésie, passé par des études de philosophie, Pilato rappe-chante majoritairement en bemba, la plus importante langue vernaculaire parlée, aux côtés de l’anglais, par la Zambie des villes et des champs, des rives du fleuve Zambeze à la Copperbelt, la ceinture de cuivre zambienne dont Pilato est lui même originaire. Sorti le 4 juillet dernier sur les réseaux sociaux du pays, Here I Live son quatrième album, serti de témoignages bruts de zambiens de la rue, affirme sa singularité parmi la scène rap nationale. Pilato s’exprime sur des musiques irriguées par celles de la sous-région, mais également par la Kalindula, la musique traditionnelle du nord-ouest zambien, popularisée par feu P.K. Chishala sous le régime du père de la nation, Kenneth Kaunda. Les thèmes que le rappeur trousse en vignettes imagées, sont ceux qui préoccupent les 60 % de zambiens vivant avec moins de 2 dollars par jour : pollution liée à l’industrie cuprifère, coût de la vie, corruption, enfants des rues, droits des femmes…

 

Quand il ne rappe pas, Pilato (@iampilato)  occupe les réseaux sociaux pour mener des interventions d’agit-prop et participer à des débats sur les solutions aux inégalités sociales qui se creusent dans le pays. « Là où la voix de nombreux chanteurs s’identifie aux quelques élites puissantes qui abusent de la confiance du public, volent les pauvres, fabriquent l’inégalité, servent de sage-femme à l’injustice et érodent la démocratie zambienne, Pilato élève la voix pour mépriser les actions de ces élites, pour assister à la douleur de ceux qui souffrent, et pour servir les silencieux et les opprimés », souligne l’historien et professeur universitaire zambien Sishuwa Sishuwa.

Le nom de Fumba Chamba a commencé à circuler parmi les zambiens en 2013. Les espoirs portés par les stances populistes du président élu Michael Sata, surnommé le Cobra, tournent à l’aigre. « En arrivant au pouvoir, celui-ci avait annoncé qu’il allait créer des routes, donner des emplois aux jeunes, industrialiser notre économie, etc. Quand nous avons constaté que rien n’avait été lancé, nous avons alors fait une chanson intitulée Lies (mensonge) ». Sata décède en cours de fonction. En 2015, alors qu’Edgar Lungu est élu de justesse pour conclure le mandat de son prédécesseur décédé, Pilato refait parler de lui avec Lungu Anabwela qui griffe, l’air de rien, le nouveau chef de l’État. Le morceau lui vaut sa première arrestation par la police zambienne pour diffamation. Un an plus tard, Edgar Lungu est reconduit à la tête du pays à l’issue d’un duel particulièrement tendu contre Hakainde Hichilema. Le 29 septembre 2017, alors que le budget national est présenté au Parlement national, un groupe de six « activistes » comprenant Pilato organise une manifestation pacifique près de la chambre des députés dénonçant l’utilisation abusive des fonds publics. Bilan : arrestation et inculpation pour infractions à la loi sur l’ordre public. Fin 2017, un nouveau morceau force cette fois-ci Pilato, menacé de mort, à partir se réfugier cinq mois en Afrique du Sud : Koswe Mumpoto (Un Rat Dans Le Pot), métaphore sur la corruption régnant parmi les cercles du pouvoir.

 

Depuis le retour de Pilato au pays, en mai 2018, les droits humains ont continué à se dégrader en Zambie sur fond de détérioration de la sécurité alimentaire et de bombe à retardement de la dette extérieure. La crise économique provoquée par le Covid-19 place désormais le pays face à un seuil « insoutenable » d’endettement, dont les zambiens seront, une nouvelle fois, les premières victimes.

Piato constate que la sortie de son nouvel album « a suscité nombre de débats et de conversations intéressantes sur les inégalités économiques en Zambie et le fait que les zambiens de base sont les seuls détenteurs des solutions à ces problèmes ». Pour autant, il n’entend pas s’afficher derrière un parti politique : « Je suis attaché à l’idée que le véritable pouvoir pour mener le changement est celui du peuple. Personne ne m’a élu pour être artiste : c’est un privilège que je prends au sérieux et avec grâce, cela me permet toute liberté et flexibilité… »

 

 

Jean-Christophe Servant

Jean-Christophe Servant

 

Ancien du magazine de musiques urbaines l'Affiche durant les années 90, ex chef de service du magazine Géo, je suis depuis trente ans, particulièrement pour Le Monde Diplomatique, les aires anglophones d'Afrique subsaharienne, avec un intérêt particulier pour son industrie culturelle et ses nouvelles musiques urbaines.

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