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Fixi © Bernard Benant -

La musique, au rythme de la rue ?

Ce 21 juin, la musique va investir les rues de toute la France, à l’occasion de la 38e Fête de la musique. L’évènement est célébré maintenant un peu partout dans le monde. Mais quel est le rapport des musiciens aux villes ? Sont-elles vraiment un espace de musique ? Un lieu qui les inspire ? Des musiciens voyageurs nous racontent leurs villes de coeur. 

 

 Le Paris de Fixi

Des rues de Kingston à celles de Bénarès, de Rio jusqu’à Lagos… L’accordéoniste Fixi a parcouru le monde entier avec sa musique. Mais quand on lui demande de nous donner l’endroit qui l’a le plus marqué, impossible de choisir. Sa mémoire retrouve alors son enfance, passée dans un cinquième arrondissement de Paris encore assez populaire.  « J’étais tout le temps dans la rue, se rappelle-t-il. La rue était l’espace des rencontres avec mes amis. Il y avait le marché, les clochards, le gars qui tenait le resto brésilien, qui passait de la bossa, des commerçants qu’on connaissait. Il y avait toute une vie… J’avais ma batterie et mon piano, les fenêtres donnaient sur la rue. Je me souviens de moments d’été avec la fenêtre ouverte. Le piano « entrait » dans la rue, et les gens se retournaient dans ma direction. J’adorais ce stratagème. » Le quartier de la Contre-Escarpe a été la première scène du futur musicien, pour lequel la Fête de la musique naissante devient « le moment le plus important de son année ». « Grâce à un clown, à un groupe ou une ambiance, j’aime bien quand la rue se transforme et qu’elle se prostitue un peu. La musique est un bon moyen pour sortir la rue de son train-train », estime celui qui a plutôt écumé les bars avant de fonder le groupe de rap-musette Java et d’être la cheville ouvrière du duo Winston Mc Anuff & Fixi.

 

Le Dakar de Daara J family

A l’inverse d’un pavé parisien interdit aux musiciens, exception faite de ce soir du 21 juin, aucun texte ne réglemente la musique dans l’espace urbain au Sénégal. La loi cible plutôt les talibés, ces enfants des rues forcés à mendier dans les grandes villes du pays. Les contrastes entre cette extrême pauvreté et une capitale hyper-connectée, les embouteillages monstres, le brassage de populations venues des quatre coins du pays… C’est tout cela que racontent Faada Freddy et Ndongo D., les deux acolytes de Daara J Family. « Notre musique respire Dakar, estime Ndongo D. Dans notre chanson Sénégal, quand on parle des cars rapides ou des taxis jaune-noir, les taxis-brousse, on sait bien que cela va moins vite que le métro. Mais c’est une manière de dire que Dakar a envie de modernité, que Dakar se réinvente. Ce qui ne veut pas dire être comme New-York ou Paris. Mais c’est aussi un appel à l’authenticité. Le fait d’avoir des cars vétustes, ça fait son charme. »  Pionniers du rap sénégalais  dans les années 1990, les Daara J ont nourri leur musique chantée en wolof d’instruments traditionnels comme la kora, ou le sabar, le tambour emblématique des cérémonies et des danses sénégalaises, et de références directes à leur ville. Ainsi, la chanson-titre de leur prochain album, à paraître pour le deuxième semestre de cette année, Yaamatele, mêlera des assikos, ces rythmes utilisés lors les matchs de foot inter-quartiers qui agitent Dakar à de la trap.

 

Le Cali de The Bongo Hop

La Colombie célèbre aussi la Fête de la musique, sans que la musique gagne toutes les rues du pays. Mais dans un pays très francophile, cela reste un évènement. Avant d’enseigner les Sciences-Politiques à la Javeriana, une université jésuite de Cali, Etienne Sevet a d’ailleurs gagné un temps sa vie en étant prof de Français à l’Alliance française, comme beaucoup d’expats partis à l’aventure en Amérique latine. Durant les huit années qu’il a passé dans cette métropole du Sud de la Colombie, il a fait du… continent africain une destination rêvée. Le journaliste, notamment pour les magazines World sound et So Foot, s’est attaché à faire découvrir comme DJ l’afro-beat et la rumba congolaise aux fêtards venus s’encanailler dans les soirées Republica Calicuta qu’il organisait dans des petits bars caleños. Le mélange d’afro-beat et de musiques traditionnelles venues du « Pacifique colombien » est même devenu le cœur de The Bongo Hop, le groupe qu’il a fondé à son retour en France et qui vient de publier, Satingarona, Pt.2, son deuxième disque. Sur son expérience fondatrice à Cali, Etienne observe : «  Les sons de la rue n’ont pas influencé directement ma musique, mais ils m’ont ancré dans la réalité de la Colombie. Moi, j’ai prêté beaucoup d’importance aux sons des vendeurs ambulants, aiguiseurs, marchand de bouteilles de gaz, vendeurs de champus, une boisson typique de Cali, ou de tamales, un plat enveloppé de feuilles de maïs. Ils inventent un langage qui leur permet de se signaler, un langage que même les gens du cru ne comprennent pas… Il y a même tout un alphabet du sifflement dans les rues de Cali, avec des façons de siffler très élaborées, comme le faisaient les bergers dans les Pyrénées. »

 

Les villes en mouvement de Lo’Jo

Ce sentiment d’avoir à comprendre ce qui se trame dans les lieux qu’on traverse, Denis Péan a dû le ressentir plusieurs fois au cours de ses voyages. Depuis une tournée, en 1988, qui les a menés dans la Pologne soviétique, aux Etats-Unis, et dans l’île de la Réunion , Lo’Jo a parcouru une cinquantaine de pays, et des villes dont il a pu, en trente ans, observer les changements. A la fois « sédentaire total », puisqu’il est installé dans une campagne angevine où il est né, et « voyageur complet », Denis Péan poétise : « La ville est volatile, elle se transforme d’un instant à l’autre, elle est en permanence en mouvement. Les espaces naturels sont plus calmes et développent le temps à un tempo bien plus lent. Cela induit des mœurs, des façons de vivre, et des musiques urbaines qu’on reconnaît ».  Lo’Jo a chanté les baroudages, le marché de Vientiane, qui a « la couleur » du Laos, Alger, ou plus récemment, un Paris portant la mémoire « l’histoire coloniale » de la France. Mais pour son chanteur, qui a été marqué par le festival Au désert, créé avec Tinariwen, que par la Géorgie, c’est avant tout la qualité des rencontres et les histoires inscrites dans les lieux qui comptent. Une rencontre étonnante pour la caravane de Lo’Jo ? Il y en a des dizaines, et notamment cette Fête de la Musique voici une dizaine d’années, où le groupe a partagé la scène, au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, avec les clowns russes du Licedei. Quand la ville, un musée et une soirée, appelle au croisement des arts et des musiques.

Bastien Brun

Bastien Brun

 

Bastien Brun est journaliste musical. Il écrit pour le site Internet RFI Musique et travaille pour le site internet de la radio RFI. Il a collaboré au magazine gratuit Longueur d’Ondes, à l’émission de radio "La Bande Passante" et commencé son métier de journaliste en presse quotidienne régionale, tout en écrivant des documentaires radiophoniques.

Il signe pour le site #AuxSons un article sur les « villes des musiciens ».

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