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La chanson « Gbaka » de Daouda Le Sentimental : Rétrospective d’un titre lanceur d’alerte

En 1976, la chanson « Gbaka » de Daouda Le Sentimental sauve la vie des transports informels d’Abidjan. Rétrospective d’un titre lanceur d’alerte.

 

 

Daouda Koné entre à la télévision ivoirienne en tant que contrôleur technique. Pendant les pauses déjeuner, sur sa guitare sèche il égrène quelques compositions personnelles pour son plaisir et celui de ses camarades. Ses collègues producteurs découvrant chez lui une bonne dose de talent de chanteur-compositeur et l’invitent dans leurs émissions de variétés musicales. Les téléspectateurs apprécient ses chansons romantiques empreintes d’humour et ses compositions lui colleront le sobriquet de « Daouda Le Sentimental ». On le compare à GG Vickey, autre guitariste parolier du Dahomey, devenu le Bénin, ayant marqué les années 60.
Georges Taï Benson, alors directeur des programmes de la télévision nationale, décide de produire son tout premier 45 tours avec le titre « Gbaka », le nom donné au minibus des transporteurs informels.

Son énorme succès mettra en veille un décret ministériel interdisant les dits transporteurs informels d’Abidjan. Incroyable mais vrai !

 

Depuis les années coloniales, l’exploitation des cultures de rentes comme le café, le cacao, l’hévéa ou le palmier à huile, contribua au développement d’une industrie naissante dans le sud forestier de la Côte-d’Ivoire et particulièrement à Abidjan, la capitale politique de l’époque.  Par vagues entières, les ruraux du pays et autres migrants des pays ouest-africains viendront peupler les plantations et surtout la jeune métropole qu’était Abidjan, dotée du plus grand port du Golfe de Guinée, employeur d’une grosse main d’œuvre.

La cité d’Eburnie grossissait à vue d’œil et s’étalait à perpète. Les quartiers périphériques enflaient de nouveaux arrivants de l’exode rurale et chercheurs d’emploi du Ghana, du Burkina (Haute Volta à l’époque) du Mali, du Sénégal, du Niger, de Guinée Conakry et j’en passe. Il y avait – et il y a toujours - du monde à transporter des banlieues du nord de la ville aux zones industrielles et au port situé à l’opposé. A l’évidence, l’unique transporteur d’état qui pouvait assurer cette demande grossissante était La Société des Transports Abidjanais (SOTRA).

Depuis toujours, sous les tropiques, partout où l’État s’avère déficient, les populations débrouillent une solution. Ainsi donc, des privés se mettent dans la danse des transports publics d’Abidjan avec des véhicules, pour la plupart, dans un état technique suspect. Leur moteur et tôlerie rafistolés laissaient à désirer. Ces mobiles n’étaient pas forcément rassurants du tout mais le plus important, était qu’ils roulent et puissent conduire les manutentionnaires de leur domicile à leur job.

En circulant, l’entrechoquement de leur ferraille faisait « Gbaka ! Gbaka ! Gbaka ! ». Cette onomatopée donnera son nom à tous les mini-bus des transporteurs informels. Non seulement la course était moins chère que le ticket de la SOTRA mais en plus, les arrêts s’effectuaient à la demande du passager. Par exemple : « Chauffeur, je descends devant la pharmacie » ou « Moi c’est devant le petit marché » ou encore « Et moi c’est aux trois cocotiers », etc…

Mais malgré son importance sociale indéniable, les gbakas, il faut l’admettre, causaient un grand nombre d’accidents. Mais, qu’est-ce qu’ils dépannaient la grande majorité des banlieusards !

Face au désordre de la circulation causé par les gbakas et la récurrence de leurs accidents, en 1976, le ministre ivoirien des transports publics publie une proposition de loi interdisant leur circulation sur le territoire d’Abidjan. Le désarroi s’empare alors des populations en bas de l’échelle sociale et aussi de la classe moyenne naissante des fonctionnaires, des techniciens d’entreprise ou des services de la radio et de la télévision comme Daouda Koné qui, entre deux productions, grattait sa guitare en susurrant des chansons à l’eau de rose, mais pas que. Son répertoire comptait quelques chroniques de société, improvisées à l’envie. Il habitait la grosse banlieue de Yopougon.

Il était donc tout autant concerné par le projet d’interdiction de circulation des transports honnis. En deux temps trois mouvements, il pond la chanson « Gbaka », un plaidoyer croustillant, haut en couleur, épicé de métaphores portées par un ton innocent. Le verbe met en scène la vie de l’intérieur d’un gbaka en circulation. L’artiste amateur joue les personnages des passagers et de l’apprenti (l’assistant du chauffeur). Hamed Touré, l’animateur de la matinale de Radio Côte-d’Ivoire passe la chanson en boucle dans sa tranche. L’effet viral gagne tout le pays. Dans toutes les gargotes, tous les Maquis (ces restaurants populaires ivoiriens), toutes les buvettes, jusque dans les bureaux, le « Gbaka » de Daouda active le débat public sur le projet inacceptable du Ministre des transports.

En cette décennie de prospérité économique du pays d’Houphet Boigny, le père fondateur de l’indépendance, il flotte un air de révolte. La grogne palpable monte au sommet de l’Etat. Le décret est suspendu par décision unilatérale du timonier et les transporteurs informels continuent leur activité mais uniquement avec des gbakas ayant un contrôle technique valide.

Soro Solo

Soro Solo

 

Soro Solo était jusqu’aux événements de 2002 un des journalistes culturels bien connus en Côte d’Ivoire. Il a reçu  par deux fois le prix Union Nationale des Journalistes de Côte‑d’Ivoire (UNJCI) qui récompense le meilleur journaliste du pays (prix Ebony, 1993 et 1994).

Son approche pédagogique et sa quinzaine d’heures d’antenne hebdomadaire des années durant ont fait de lui un homme de radio plébiscité dans son pays.

Son émission « le grognon », libre-antenne où les citoyens appelaient pour se plaindre des dysfonctionnements et autres malversations qui sclérosaient les services publics, lui valut une grande estime populaire (cf. portrait dans les pages Médias de Libération, janvier 2000).

Découvreur de talents, Soro Solo a accompagné l’ouverture de l’Europe aux musiques africaines. Il réalisa notamment le premier enregistrement d’Amadou et Mariam à Abidjan en 1988.

Il fit partie de ceux qui lancèrent avec enthousiasme la première cassette de Tiken Jah Fakoly (Victoire de la musique 2003) sur les ondes de Radio Côte‑d’Ivoire.

De Ray Lema à Salif Keita en passant par Manu Dibango, Toots and the Maytals, Jacques Higelin ou Pierre Akendengué, tous les grands musiciens ayant fait escale à Abidjan sont passés dans son studio.

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