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Europe et culture, la diversité à l’épreuve de la crise d’identité

Avec un nombre record de 33 listes, les élections européennes offrent une diversité optimale du paysage politique. Alors que l’Union européenne traverse une crise de sens et des valeurs sans précédent, nous avons scruté la place de la diversité, culturelle cette fois, dans les programmes des candidats en lice le 26 mai. Stricto sensu, elle est pour ainsi dire inexistante. Jusque dans l’incarnation des projets par des têtes de liste monochromes. Mais en élargissant la notion de diversité à la thématique globale du vivre-ensemble, alors plusieurs conceptions de l’Europe s’affrontent dans une nette réaffirmation du clivage gauche-droite tel qu’il est traditionnellement perçu dans les représentations collectives en termes d’accueil, de migrations, de droit d’asile et de circulation ou encore de solidarité internationale.

L’obsession de la protection des frontières fédère à droite

A l’extrême droite de l’échiquier politique, le Front national converti en Rassemblement national préconise une redéfinition de l’Europe sur la base notamment « des valeurs de civilisation, des racines et de l’histoire communes qu’elles puisent dans la Grèce et la Rome antique puis la Chrétienté », rejetant l’intégration de la Turquie dans l’UE et poussant sa logique jusqu’à l’« arrêt de l’immigration légale ». En contrepartie, la liste tirée par Jordan Bardella promet « une politique ambitieuse de développement avec les pays d’Afrique », en conditionnant toutefois « les aides financières à une étroite coopération pour maîtriser les flux migratoires »…  Mais c’est peut-être Nicolas Dupont-Aignan, candidat pour Debout la France, qui répond le plus clairement à notre sujet par le refus pur et simple du « multiculturalisme ». Pour l’Union populaire républicaine de François Asselineau ou Les patriotes de Florian Philippot (ex numéro 2 du FN), hors du Frexit – soit la sortie de la France de l’Union européenne - point de salut.

Chez les Républicains, l’outsider François-Xavier Bellamy place « l’Europe frontière » en tête de gondole de son projet. Celle contre le terrorisme islamiste étant la deuxième préoccupation. Il n’y a pas que sur la question migratoire que la collusion entre droite dit républicaine et celle des Le Pen est manifeste. Jusqu’à oser un quasi copier-coller en demandant l’inscription « des racines judéo-chrétiennes de l’Europe dans les traités européens ». La culture en revanche se place relativement haut dans le catalogue de propositions avec l’instauration du « 1 % culturel européen pour préserver notre patrimoine dans nos territoires (églises, châteaux…) » et la défense de « la diversité linguistique au sein des institutions européennes ».

La culture, le parent pauvre de l’Europe ?

Pas de discours frontal anti-étrangers à l’UDI dont les couleurs sont portées par Jean-Christophe Lagarde, malgré l’angoisse obsessionnelle de la protection des frontières. La « création d’un réseau et d’un pass des musées européens » fait figure de revendication phare en matière culturelle. Pour La République en marche et l’ensemble de la majorité présidentielle, il n’est pas apparu nécessaire de faire connaître le programme de la liste Renaissance avant le 9 mai… Au menu : « des bourses et une série de prix pour la jeune création contemporaine » et le développement du « tourisme culturel ». Après la polémique sur sa présence sur une liste d’extrême droite lorsqu’elle était étudiante, Nathalie Loiseau, tête de liste pour le camp Macron, a formulé un tendancieux « personne ne doit entrer en Europe s’il n’y est pas invité ».

A gauche, même si tous ne revendiquent pas l’étiquette comme Europe Écologie (EELV) et la France Insoumise (LFI), la tonalité est plus solidaire. Voire en rupture assumée avec les discours identitaires et sécuritaires ambiants. La coalition PS, PRG, Nouvelle donne, Place publique menée par l’essayiste Raphaël Glucksmann, ancien adepte du libéral Alain Madelin, reste discrète sur la question culturelle, avançant un timide encouragement du « dialogue interculturel ».  Même si une tribune d’élues socialistes et cosignée par la tête de liste déclare : « Soyons ceux qui portent fièrement l’émancipation, l’humanisme, la fraternité, la solidarité, la poésie dans le discours politique, car ce sont ces principes qui sont essentiels pour donner tout son sens à la construction de l’Europe. » C’est en répondant à ce même texte que Christian Benedetti, homme de théâtre et candidat pour LFI, précise la position de la liste conduite par Manon Aubry dont le programme évoque une « ambition culturelle et éducative ». « L’Europe a besoin de toutes les forces de la création pour faire exister une vie politique. Nous devons replacer le geste de l’art et ce que l’on appelle culture au centre de la politique européenne. Mais pour cela, comme pour le reste, il faut sortir du carcan libéral des traités européens actuels », écrit le metteur en scène.

La tragédie des migrants en Méditerranée mobilise la gauche

Pour Génération.s dont la liste Vive l’Europe libre est conduite par Benoit Hamon, l’ambition culturelle réside dans un refus de « la privatisation » du secteur qui devra être doté d’« un financement public européen de la création et du patrimoine ». Parmi les propositions les plus novatrices, des « Maisons européennes de la culture », « un statut européen des métiers de la culture » ou encore « la restitution dans leurs lieux d’origine de toutes les œuvres pillées dans les anciennes colonies ». L’ancien candidat à l’élection présidentielle française de 2017 exige « la fin du soutien aux opérations de renvois de personnes interceptées dans l’espace maritime le plus mortel du monde », en se dotant « d’une agence indépendante de recherche et de sauvetage ». Une orientation humaniste que l’on retrouve largement dans le programme du député européen EELV Yannick Jadot. Nommé Bien vivre, sa liste contient un chapitre conséquent sur les droits culturels. « À l’heure des replis identitaires, de l’intolérance et de la peur de l’autre, les écologistes souhaitent faire de la culture une source de cohésion sociale, d’expression de la diversité et de la créativité, d’expérience de l’altérité, de partage des biens communs, de convivialité, de désir et de plaisir ».

Dans le programme de Ian Brossat, numéro un de la liste « Pour une Europe des gens, pas de l’argent », une phrase résume assez clairement l’état d’esprit du Parti communiste français : « La connaissance de la culture de l’autre est un facteur essentiel de rapprochement des peuples ». Et de proposer « un service public qui garantisse les droits culturels des citoyens et des artistes ». En réaction aux drames réguliers en Méditerranée, le PCF souhaite que l’Union européenne réoriente le dispositif « Frontex vers le sauvetage en mer », que « des visas humanitaires soient délivrés au plus près des zones de tension » ainsi que l’ouverture du « statut de réfugié à toutes celles et tous ceux qui sont contraints à l’exil forcé », l’organisation de « voies légales et sécurisées » et « le droit à la mobilité pour toutes et tous ».

A l’extrême-gauche, Lutte ouvrière et sa candidate Nathalie Arthaud, point de culture mais un slogan on ne peut plus clair : « A bas l’Europe-forteresse ! ». Pour la successeure d’Arlette Laguiller, « toutes les grandes puissances se sont bâties non seulement sur le pillage colonial, mais aussi grâce au travail de générations de migrants ». Une analyse tranchante à méditer.

Ludovic Tomas

 

Ludovic Tomas

 

Ludovic Tomas est journaliste à Zibeline, magazine culturel indépendant du Sud-Est et vit à Marseille. Ancien journaliste à l'Humanité, il a notamment collaboré à Mondomix, magazine de référence pour les musiques du monde jusqu'en 2014.

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