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Morena Leraba © DR
Morena Leraba - © DR

Au Lesotho, la musique Famo à la recherche de nouveaux horizons

Au Lesotho, l’accordéon tue. Depuis le début des années 2000, la scène Famo, la musique traditionnelle de cette monarchie parlementaire d’Afrique australe est associée aux guerres de gangs qui ensanglantent le Royaume des montagnes. Tournés vers d’autres horizons rythmiques, sans renier leurs racines, ses héritiers, basés pour la plupart en Afrique du Sud, sauront-ils exorciser cette malédiction ?

Découvert en l’an d’avant Covid aux Transmusicales 2019, le musicien sesotho Teboho Mochahoa, alias Morena Leraba, poursuit sa transhumance de traverse.

Morena Leraba - Moriana 

 

Depuis Johannesburg, autant la ville refuge de nombreux musiciens originaires du Lesotho que le carrefour économique de sa diaspora, on a ainsi vu récemment featurer l’artiste, 36 ans, sur le dancefloor de Major Lazer, la piste de danse du  collectif français Mawimbi (associé à Spoek Mathambo), tout comme participer à des sessions post rock marquée par sa proximité avec Bill Tshepang “RMBO” Ramoba , le batteur du combo sud-af Blk Jks.

Blk Jks ft. Morena Leraba - Harare

 

Pour autant, Teboho Mochahoa, natif du district de Mafeteng, à l’ouest de cette nation enclavée dans l’Afrique du Sud,  n’oublie pas d’où il vient : le « triangle de l’accordéon », comme on surnomme l’axe formé par les trois principaux hameaux de cette circonscription électorale du Lesotho ; l’accordéon est l’instrument constitutif de sa musique nationale - le Famo - que nous avons tous au moins une fois entendu sur le Boy in the Bubble austral de Paul Simon, l’accordéon famo parle sous les doigts de Forere Motloheloa, décédé en février 2021, et auteur, avec son groupe Tau Ea Matsekha, du morceau qui inspirera l’un des tubes de Graceland, album marqueur de ce que l’on nommait alors la « World Music »….

 

Mais revenons au trentenaire Morena Leraba, artiste descendu des pâturages du Lesotho, promis à la reconnaissance internationale après deux années de vache maigre, et surpris de se retrouver, via whats app, à parler d’un pan de sa vie qu’il n’a que rarement eu l’occasion de raconter. « Lorsque j’étais encore à l’école », se souvient-il : « le district de Mafeteng a commencé à devenir une zone très violente, à cause de la rivalité entre les gangs liés aux principales figures du famo, les chanteurs Famole puis Chakela. C’était comme si nous vivions dans un film. Pour autant, cela n’enlèvera rien à la force de cette musique, sa grande poésie, son rythme verbal, et sa manière de porter notre culture. Et cela n’empêchera pas Famole et Chakela, quoiqu’ils aient été, de faire partie de mes chanteurs préférés. »

Née, nourrie et élevée parmi la diaspora sesotho venue travailler dans les mines d’or de l’Afrique du Sud de l’Apartheid, le famo va mener jusqu’aux années 80 une vie de renégat de la ségrégation musicale. Ses troubadours aux semelles de vent,  parés de couvertures traditionnelles, sont la ligne de vie avec le pays natal, ses traditions ( telles que la cérémonie de circoncision) et ses lignages. Dès la fin des années 50, les chanteurs se mêlent dans les shebeens aux gangs sesotho tels que les célèbres MaRussia, qui s’affrontent aux totsis rivaux contrôlant l’économie souterraine des townships. Figures de cette société invisibilisée, les artistes sont tout aussi exploités que les hommes qui triment et meurent dans les profondeurs aurifères des grandes sociétés minières blanches. La grande Puseletso Seema, elle-même compagnon d’infortune de plusieurs gangsters sesotho, et l’une des rares femmes à s’être imposée parmi cette scène masculine, enregistrera à cette époque près de 300 chansons, avec ses yeux pour pleurer, « traitée comme un âne que l’on ne cessait de chicoter » racontait elle en 2017.

Boleng Ba Lekhulo - Mme Puseletso

 

Teboho Lesia, alias Famole, est décédé en 2004.

Famole - Chaba Sa Qabana

 

Mosoto Chakela, alias Chakela, est mort du covid en janvier 2021.

Khosi Mosotho Chakela - Ke Hana Ke Holile

 

Tous deux étaient de la génération post Puseletso Seema : surgissant et perçant parmi la diaspora d’une Afrique du Sud , peut être devenue démocratique, mais convertie à un capitalisme sauvage et toxique qui n’épargnera pas le nouveau music-business sesotho. Labels, concerts, mais également réseaux criminels transnationaux tissés entre Maseru et Johannesburg,  l’écosystème généré par la musique famo devient au début des années 2000 l’objet d’une sanglante rivalité entre ses nouvelles icônes et leurs gangs..Les punchline, nominatives, des chanteurs,  tuent littéralement et les musiciens sesotho en devenir tombent comme à Gravelotte sous les règlements de compte. Mais comme le dit un proverbe local : “monna ke nku ha lle” : les hommes ne pleurent pas. Il faudra attendre 2015, et les menaces gouvernementales d’interdire tout enregistrement de nouveaux morceaux famo, pour que la violence ne baisse d’un cran. Ce qui n’empêchera pas alors Chakela et son gang, la Terene, de cautionner et faire le coup de poing pour l’un des principaux partis politiques de la fragile démocratie du Lesotho.

Le sang va-t-il enfin sécher sur les touches des accordéons ; la paix, enfin s’installer parmi le milieu de la musique nationale ?

Mantsa.14 - Airport

 

C’est le voeu de Lephoi Elias Mohale, alias Mantsa, parmi les figures famo les plus respectées du moment, aux côtés de Rantso et Sanko. « Les artistes famo qui ont été impliqués dans ces assassinats voulaient être craints », expliquait Mantsa en 2019 dans les colonnes du Sunday Express : « Moi, à leur différence, j’ai envie d’être aimé. Si je commence également à me battre et à tuer, cela affectera ma musique et les messages que j’y passe. »

Rantso - Setsokotsane

 

La joie et la paix sont aujourd’hui souvent prêchées dans des morceaux de famo gospel, importance des églises évangéliques oblige. MoAfrika Fm, l’une des principales radios nationales du Lesotho à programmer du famo a ainsi été fondée par le pasteur journaliste Ramainoane Sebonomea, dont l’église abrite, également, une remarquable chorale famo. « Les choses changent, constate-t-il depuis Maseru, le marché de la musique traditionnelle famo se réduit, la jeunesse est aujourd’hui plus attirée par les nouvelles sonorités électroniques sud-africaines. Mais vous savez », poursuit-il :« on dit souvent ici que le famo cest comme un chewing gum, on continue à le mâcher jusquau bout, jusqu’à ce qu’il ait définitivement perdu son goût »…

Or il y en a pour tous les goûts aujourd’hui. Comme le spirituel Selimo Thabane qui oeuvre sur les plates-bandes du Jazz austral.

The Selimo Thabane Jazz Band - Live at the Juke 

 

Egalement installé à Johannesburg, Kommanda Obs, cet autre trentenaire brûle les scènes sud-africaines depuis 2008, année de sa première mix-tape. Marqué, durant son adolescence, par le tout premier groupe
à avoir surgi depuis les hauteurs du Lesotho - Sankomota, mené par Tsepo Tshola - Obs a depuis poursuivi sa navigation musicale à la croisée des vents hip-hop,  kwaïto, et bien sur famo, empruntant à ce dernier non seulement des touches d’accordéons, mais également sa scansion et ses tournures poétiques… Hear me I am Famo ?

Tsepo Tshola - Papa

 

 

Jean-Christophe Servant

Jean-Christophe Servant

Ancien du magazine de musiques urbaines l'Affiche durant les années 90, ex chef de service du magazine Géo, Jean-Christophe Servant suit depuis trente ans, particulièrement pour Le Monde Diplomatique, les aires anglophones d'Afrique subsaharienne, avec un intérêt particulier pour son industrie culturelle et ses nouvelles musiques urbaines.

 

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