#AuxSons est un webmedia collaboratif, militant et solidaire
Jerusalema - DJ Master KG et Nomcebo Zikode
des enfants dans le clip de Jerusalema - DJ Master KG et Nomcebo Zikode - capture d'écran

Afrique du Sud : Amapiano, la dance-music du covid

Année noire pour l’industrie culturelle et créative sud-africaine, la plus importante du continent. La première vague de confinement du printemps, puis la deuxième, figeant la saison festive de fin d’année et les concerts accompagnant l’été austral, ont durement touché les musiciens du pays. Selon une étude menée par le South African Cultural Observatory, un organisme public, prés de la moitié des professionnels sud-africains pourraient quitter leur métier face à l’arrêt de l’industrie du live.

Malgré ces sombres perspectives pour la première économie africaine, il y a pourtant des raisons d’espérer. On n’a jamais autant dansé sur l’Afrique du Sud.

 

 

Alors que Jerusalema de  Master KG, et ses challenges chorégraphiques, s’est imposée comme l’arme anti-déprime mondiale de l’année 2020, le son de la jeunesse sud-africaine, l’Amapiano, et ses pas de danse aussi viraux à la Ivosho, Shi Shi ou Bouncing Cats, n’a jamais été aussi proche de s’imposer à l’international.

 

 

Signes qui ne trompent pas : après avoir signé des labels nigérians, tels que Chocolate City, emblématique de l’émergence des productions Afrobeats, c’est désormais vers ce dernier avatar de la house australe - fruit de 26 ans ans d’amalgame de musiques urbaines sud-africaines born free - que se tournent les Majors de la musique revenus en force sur le continent. Sony Music Africa vient ainsi de signer Sumsounds, le label de DJ Sumbody, l’un des pionniers de ce style poussé au milieu des années 2010, entre les townships de Pretoria - Mamelodi, Atteridgeville - et ceux de Johannesburg - Soweto, Alexandra et Katlehong.

 

 

Les oreilles toujours bien dégagées sur l’Afrique, le français Ludovic Navarre, plus connu sous le nom de Saint Germain, sort cet hiver une adaptation Amapiano de So Flute, tiré de son album The Tourist, sorti il y a 20 ans,  à l’occasion d’une réédition remixée.

 

 

 

Quand aux rappeurs nigérians Wizzkid et Burna Boy, devenus deux des emblèmes globaux des Afrobeats, ils interviennent sur Sponono (ici revisité par le danseur français Wizlex).



 

 

Sponono est produit par l’un des orfèvres du style, le DJ producteur Kabza De Small, auto-proclamé roi de l’Amapiano et parmi les auteurs les plus écoutés en 2020 sur les plateformes sud-africaines de streaming. Le natif de Mpumalanga, 28 ans, sévit aussi au sein des « Scorpion Kings », aux côtés d’un autre joaillier de l’Amapiano, DJ Maphorisa, 33 ans, originaire de Pretoria.

 

 

Ces Midas, dont l’album collectif a été élu meilleur disque de l’année aux 26ème SAMA (South African Music Awards) qui se sont déroulés en ligne l’été dernier,  transforment en or tout ce qui se passe dans leur studio…tout en poussant une nouvelle génération de DJs, tels que le brillant Vigro Deep, 19 ans.

 

 

Ironie de l’histoire : fin 2019, c’est lors d’un festival sponsorisé par la marque de bière… Corona, que les Scorpion Kings clôturaient chez eux une année de succès parfois passée à assurer jusqu’à quinze sets en un week end… Le Covid a tué l’image de la Corona. Le confinement et la distanciation sociale décidée par le président Cyril Ramaphosa n’auront fait que renforcer l’aura hypnotique de l’Amapiano. Les mix de « Yanos », poussés souvent par des DJs masqués enjoignant leurs auditeurs à rester prudents, auront tout à la fois servi de musique de réconfort et d’évasion à une génération bloquée chez elle. L’un des studios en ligne, ou bedroom studios, les plus fréquentés, aura été celui d’Oscar Bonginkosi Mdlongwa, plus connu sous le nom d’Oskido, ancien membre des Brother Of Peaces, et considéré comme l’un des parrains du Kwaïto, en tant que co-fondateur, au milieu des années 90, du label Kalawa JazzMee Records.

 

 

Du kwaito à l’amapiano :  la boucle se boucle. Ses lignes de basse et ses sauts de claviers lancinants descendent en effet en droite ligne du Kwaïto. Mais un Kwaïto qui se sera entretemps affranchi de paroles sociales pour des lyrics plus bling bling et hédonistes, tout en faisant de beaux enfants arc en ciel avec la deep house la plus mélancolique et la UK funky la plus percussive. Le tout sans oublier papa et maman gospel. L’église et la club culture. Deux référents habituels chez les DJ de l’Amapiano.

A la fin des années 90, le Kwaïto, avec ses Infrabasses sortis d’un puits de mine d’or, ses beats lourds et imposants tournant en moyenne à 112 BPM, et ses pas de danse pantsula, paraissait mur pour s’imposer à l’international.

 

 

Hélas, celui-ci ratait son rendez vous avec le monde alors que l’afro-house de Gauteng, la Shangaan electro montée du Limpopo, et le Ggom de Durban, s’imposaient parmi la nouvelle génération noire sud-africaine. Mais un peu comme le hip-hop des années 90, voila que les 20 ans redécouvrent le kwaïto de leurs ainés et ses icônes trop tôt disparues, du bad boy Mandoza à la diva Lebo Mathosa. A la grande différence des années 90’s, la scène Amapiano a pu compter sur l’émergence d’un écosystème numérique national pour se diffuser, malgré l’ostracisme des principales FM nationales, dont il a été longtemps l’objet. Messageries Whats app et Tiktok ou sites d’échange de fichiers Fakaza et DataFileHost : grâce aux NTIC, les jeunes  pousses de l’Amapiano sont sortis de l’anonymat aussi rapidement qu’une BMW conduite lors d’un de ces concours de vitesse prisé par la jeunesse des townships. Les stations de taxis collectifs, les mall, les shebeens ont assuré la promotion gratuite. Les plateformes de streaming écoutées par la classe moyenne supérieure ont rajouté des playlists dédiées aux figures et nouveaux venus.

Car, désormais, il y en a pour tous les goûts. L’Amapiano Gong Gong est plutôt lié au son de Pretoria, à sa house dite bacardi, et à l’instrumental. L’Harvard Amapiano, plus élégant et club, s’appuie de son côté sur les performances de ses chanteurs et des morceaux calibrés pour passer à la radio : la Zimbabwéenne Sha-Sha, sacrée meilleure révélation au BET Awards 2020.

 

 

Ou le brillant Samthing Soweto, 32 ans, dont le deuxième album solo, Isiphithiphithi, doré sur les coutures Amapiano, lui aussi, par les Scorpion Kings. Samthing Soweto, a été élu meilleur interprète masculin de l’année en 2020 aux SAMAS.

 

 

Avec l’Amapiano, l’Afrique du Sud rappelle que, depuis plus de vingt cinq ans, elle produit la dance-music la plus excitante du monde. Qui après avoir rythmé la pandémie, pourrait bien accompagner le printemps social qui s’annonce sur la planète. L’hymne de circonstance est déjà prêt :  Bella Ciao… Sortez vos sifflets !

 

 

 

Jean-Christophe Servant

Jean-Christophe Servant
Jean-Christophe Servant

Ancien du magazine de musiques urbaines l'Affiche durant les années 90, ex chef de service du magazine Géo, je suis depuis trente ans, particulièrement pour Le Monde Diplomatique, les aires anglophones d'Afrique subsaharienne, avec un intérêt particulier pour son industrie culturelle et ses nouvelles musiques urbaines.

 

Veuillez choisir comment vous souhaitez avoir des nouvelles du webmédia #AuxSons par Zone Franche:
Vous pouvez à tout moment utiliser le lien de désabonnement intégré dans la newsletter.
En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.