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Sénégal : après l’indépendance, la décolonisation culturelle

Le 04 avril 1960, le Sénégal proclamait son indépendance. PAM vous propose une série d’articles consacrée à cette époque. Aujourd’hui, retour sur l’effervescence des années soixante, quand les fondations de la musique moderne sénégalaise furent posées.

Crédit photo : Festival Mondial des Arts Nègres de Dakar (1966) – DR

Aux lendemains des indépendances, la musique sénégalaise comme l’ensemble des secteurs du pays connait un bouleversement important. Des groupes modernes se créent et tentent de s’émanciper des influences étrangères, en particulier de celles qui viennent de l’ancienne puissance coloniale, en intégrant les sonorités traditionnelles et locales pour en faire une synthèse originale. 

C’est ce que nous rappelle le Professeur Ibrahima Wane du Laboratoire de Littératures et Civilisations Africaines de l’Université Cheikh Anta Diop, revenant d’abord sur la période qui a précédé l’accession du Sénégal à la souveraineté.

« Les années 1940-50 avaient été marquées par la naissance de plusieurs jeunes orchestres qui mettaient en avant leur modernité (pour se démarquer de la « musique des griots », la musique traditionnelle) et s’identifiaient plutôt aux vedettes étrangères. Ils se consacrent essentiellement à la reprise de succès de rock, de jazz, de musique afro-cubaine, entre autres » explique le chercheur dont les travaux autour, entre autres, de la musique populaire en Afrique font autorité.

De Dakar à Saint-Louis, les orchestres se multiplient

Avant les indépendances, le pionnier Bira Gueye tenait des séances de répétitions dans la cave de l’actuel Marché Sandaga et animait les bals du Tout Dakar avec son groupe, le Harlem Jazz de Dakar qu’il avait fondé avec un certain Makhourédia Guèye qui deviendra plus tard notre Louis de Funès national. À Saint-Louis, le « Star jazz » , formé dans les années 1950 par Pape Samba Diop dit « Mba » joue au mythique Le Cocotier, un club situé à la rue Neuville dans le quartier Sindoné. En 1958, la chanteuse Aminata Fall intégrera le groupe et bien des années plus tard, un jeune homme nommé Pape Seck évoluera avec le band de « Mba ». À Thiès, le Tropico Jazz de Kounta Mame Cheikh, accompagné entre autres de Michel Diouf, Al Sèye, ou Sagar Dia égayent les soirées de la cité du rail. Kounta Mame Cheikh est une figure emblématique de cette décennie des indépendances. Ses chansons « Dial Mbombé », « Timis », « Radio Sénégal reuy nga té tarou Nga » ont fortement marqué ces années.

Toujours à Thiès, un jeune chanteur du nom de Abdoulaye Ndiaye, qui a fait ses premières armes comme chanteur dans les Kassak (cérémonies de circoncision), commence dès 1952 à jouer dans les orchestres de la place avant de créer son propre groupe, dénommé le « Thiossane Club’. « Je suis issu d’une famille de griots et j’y ai appris le chant traditionnel. Dans le même temps, j’ai écouté la musique de Tino Rossi, Chuck Berry, BB King ou encore Duke Ellington. Tout ça nous a influencé » raconte au bout du fil, depuis Thiès sa ville natale, le patriarche de 84 ans. En ces temps de coronavirus, les voyages inter-régionaux étant limités nous nous sommes contentés du téléphone.

C’est dans ce contexte que l’indépendance est proclamée le 4 avril 1960. En août de la même année, Ibra Kassé, revenu au Sénégal après un séjour en France, forme Le Star Band de Dakar avec Pape Seck et Laba Sosseh. Ibra Kassé sera au cœur de tous les grands frémissements de la musique sénégalaise à venir. De son côté Bira Gueye qui a  renommé son groupe Galaayabe (un nom plus original), travaille avec une chanteuse formidable du nom de Mada Thiam. De ce duo naitra le morceau « Festival » qui sera choisi en 1966 comme hymne « officiel » du Festival Mondial des Arts Nègres, ou plus précisément comme hymne radiophonique de l’évènement.*

Duke Ellington au Festival Mondial des Arts Nègres Dakar (1966)

Le Festival Mondial des Arts Nègres et l’esprit de la « Négritude »

En ces années 60, le Président Senghor, homme de lettres et poète, joue un rôle capital dans le développement de la culture. Il crée l’Ecole des Arts (où entre en 1962 Abdoulaye Ndiaye Thiossane cité plus haut) qui formera notamment des musiciens et chanteurs, chargés du développement d’une musique authentique et africaine, qui porte en elle les valeurs de la « négritude ». Ce mouvement de décolonisation culturelle, amorcé avec vigueur par la Guinée puis le Mali, concerne de nombreux pays, et anime aussi les artistes sénégalais. C’est dans cet esprit que le Président poète lance l’organisation du fameux Festival Mondial des Arts Nègres de 1966. Dans la foulée, observateurs et acteurs culturels poussent les groupes à proposer des chansons reflétant la tradition sénégalaise afin d’accueillir avec originalité le monde noir (Etats-Unis, Caraïbes, Afrique) convié à Dakar, nous dit le Professeur Wane. 

« Ce mouvement d’affirmation identitaire sera accéléré par l’organisation du 1er Festival Mondial des Arts Nègres de Dakar en 1966. Dans l’euphorie des préparatifs déjà, des artistes s’exercent à composer des chants en wolof pour appeler à la mobilisation des populations » explique-t-il avant d’ajouter que « le succès qu’ont ces titres diffusés en boucle par la radio nationale encourage d’autres à s’engouffrer dans la brèche » souligne-t-il. Dans cette période, Radio Dakar lancée au début des années 50 et qui deviendra Radio Sénégal en 1960, tient une place centrale.

Abdoulaye Ndiaye Thiossane y jouera un rôle de premier plan. Sa chanson « Taal leen làmp » y remporte le « trophée » de l’hymne populaire tant il est plébiscité par les mélomanes.

« Ma chanson a marqué positivement ce moment. Elle était jouée à la radio et est indissociable du Festival Mondial de 1966» nous fait savoir l’auteur de « Taal leen làmp yi » et Aminata Ndiaye qui rajoute que son tube a fait danser beaucoup de monde dans les soirées données à la Maison des Jeunes à Dakar, située au bout de l’avenue Malick Sy sur la corniche. Au FESMAN, le Cercle de la Jeunesse de Louga se distingue lui aussi, et marquera tout le reste de la décennie.

Le Festival encourage l’éclosion des Abdoulaye Mboup, Ndiaga Mbaye ou même Ndiouga Dieng. Des cantatrices comme Diabou Seck, Mbana Diop et tant d’autres griottes, restent les gardiennes des traditions. L’UCAS Band de Sédhiou, formé en 1959, ira même plus loin « en introduisant dans l’orchestre moderne des instruments qui étaient jusque-là confinés dans la sphère dite traditionnelle : kora, balafon, tambours, mais ce groupe sera au fil des ans quasiment étouffé par la médiatisation à outrance des rythmes wolofs dominés par le mbalax » poursuit le prof. Ibrahima Wane.

Pour Ablaye Ndiaye Thiossane, ces années 60 sont aussi marquées par de fortes personnalités qui contribuèrent à faire de cette décennie de redécouverte de notre patrimoine.

« Outre le Président Senghor, des personnes comme Assane Seck, Abdou Anta Ka, Annette Mbaye D’Erneville ont été pour moi des gens qui ont beaucoup fait pour les artistes de l’époque et pour la promotion de la culture. Assane Seck en tant que ministre ne fermait jamais sa porte. Abdou Anta Ka en tant qu’écrivain et conseiller du président a soutenu la musique et Annette Mbaye D’Erneville en tant que journaliste a promu ce qu’on faisait. Il y en a d’autres mais ces trois-là me reviennent » se remémore le doyen.

Traditions, innovations, fusions… l’émergence de musiques nationales

L’affirmation identitaire dans la musique sénégalaise qui commence dans ces années 60 ne se limite pas qu’aux sonorités, les textes aussi puisent leur source dans le riche patrimoine culturel et historique du pays. Des chanteurs comme Badara Maye Kaba chante « Birane Yacine Madior Sala Bigué », Pape Seck chante « Lakh bi niorna », ou bien Jean-Baptiste avec son titre « Tiéré bala nèkh toye », mettent au premier plan les textes wolof même si le fond musical reste latino, la vogue afro-cubaine demeurant extrêmement populaire. Abdoulaye Ndiaye Thiossane se souvient : « Avec la salsa ou le bolero, il y avait les textes en espagnol ou français, mais après les indépendances nous avons commencé à nous tourner vers le répertoire traditionnel et historique du Sénégal. » Quand on lui demande si leurs textes étaient engagés, il répond : « Nos textes de l’époque ne voulaient heurter personne. Nous essayions d’être toujours corrects. Et si on avait des revendications ou autres, elles passaient par des messages en forme de fables ou de contes plaisants. »

Ce mouvement vers les langues nationales ira crescendo. Des groupes comme Xalam incarneront le mouvement. Petit rappel : le groupe Xalam dont le nom désigne en wolof une sorte de luth traditionnel est une idée du professeur Sakhir Thiam (mathématicien reconnu), qui en 1965, alors qu’il est étudiant, souhaite participer à la modernisation de la musique sénégalaise. Il enrôle des musiciens comme Salla Casset et Cheikh Tidiane Tall… À peine on-t-il commencé, que Sakhir Thiam s’envole vers la France pour poursuivre ses brillantes études. Les jeunes cadets du Xalam Henry Guillabert, Prosper Niang, Ibrahima Coundoul (« Bram’s »), qui avaient déjà commencé à jouer ensemble décident en 1969 de reprendre le flambeau  allumé par leurs ainés. On parlera dés lors de Xalam 2 en référence à la première formation fondée par Sakhir Thiam (Xalam 1). Le Xalam 2 mettra en avant la modernisation des rythmes profanes (Lébous, sérère, diolas etc) mélangées au blues, au rock, au jazz et les lead-vocaux chanteront essentiellement en wolof, pular et sérère. Cette tendance se poursuivra irrémédiablement soutient le professeur Wane.

« De grands groupes célèbres pour l’art de jouer de la salsa, tout en gardant leur fond musical, privilégient l’utilisation des langues nationales (Orchestra Baobab) et commencent même à introduire des rythmes sénégalais en remplaçant les Tumba (congas, ndlr) par des Sabar (percussions wolof) ou en intégrant le Tama (tambour d’aisselle) par exemple (Star Band, Number One…) »

Que reste-t-il de ces années 60 ? Ibrahima Wane est persuadé que toute la musique  actuelle prend sa source dans le formidable travail des pionniers de l’époque.

« L’approfondissement de la démarche permettant la prédominance progressive de la touche locale (incarnée par le Xalam, le Waatoo Sita, le Super Diamono, l’Etoile de Dakar …), mènera vers la naissance de la musique populaire sénégalaise qu’on appellera plus tard mbalax. Le mbalax, la salsa-mbalax, l’afro (entre autres exemples), qui seront prédominants à partir des années 1980-90,  ne sont que les fruits de cette évolution que nous venons de retracer » renseigne le chercheur.

Aujourd’hui, force est de constater que quelques-uns des pionniers des années 60 sont encore présents sur la scène : l’UCAS Band (né en 1959), le Xalam (1969), l’Orchestra Baobab qui naitra à la fin de la décennie (1970) et le doyen Abdoulaye Ndiaye Thiossane. Leur volonté d’asseoir une musique locale a porté ses fruits. La musique dite sénégalaise n’est plus dominée par la salsa ou autre, elle s’est vraiment sénégalisée. Des artistes comme Youssou Ndour dans la culture wolof ou Baaba Maal chez les hal pular, devenus des stars mondiales, en sont les parfais exemples. 

Lire ensuite : 5 classiques du Sénégal (1970, 1980, 1990) 

* Plus tard, le groupe Galaayabe représentera le Sénégal au Festival International de la jeunesse et des étudiants à Sofia, Bulgarie, en 1970. Notons qu’en 1962, le Star Jazz avait été déjà convié à pareil rendez-vous à Helsinki en Finlande, devenant ainsi le premier groupe moderne à sortir du Sénégal.

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