Malavoi: l’âme martiniquaise à l’éternelle jeunesse

Malavoi. © Aztec Musique

Le groupe culte de la Martinique, Malavoi, revient avec un nouvel album, Masibol, un hommage aux femmes puissantes, autour de son chanteur emblématique, Ralph Tamar. 50 ans après ses débuts, la formation n’a rien perdu de sa superbe ni de son esprit frondeur.

Onze ans. Onze ans que Malavoi, fleuron de la Martinique n’avait pas sorti de disque original, taillé à la mesure de ce groupe si particulier des Caraïbes francophones. Il y avait bien eu, en 2015, Oliwon, avec son florilège d’invités – E.sy Kennenga, Loriane Zacharie, Valérie Louri, Emeline Michel, etc. – qui sublimaient la formation d’horizons vocaux inédits. Aujourd’hui pourtant, le groupe à géométrie variable, aux 51 ans d’existence, paraît revenir à la maison, autour de sa voix emblématique, l’incontournable Ralph Thamar. L’homme avait quitté Malavoi en 1988 pour privilégier une carrière solo, avant de réintégrer sa base en 2006. Joint par téléphone, en Martinique, celui qui se définit, sur le ton d’une blague non dénuée d’une pointe de vérité, comme le "héros de la Martinique", confie de sa voix grave, chaleureuse: "En 2006, un producteur organisait un concert de Malavoi à la Martinique, et il tenait à ce que je chante. Ce moment, devant une foule compacte, était si chargé d’émotions, si remarquable, que j’ai décidé de remettre le couvert. Au départ, je ne voulais rester que cinq ans… Mais que voulez-vous? Me voilà trop attaché à ce groupe, à ses membres, à ce son…"

Et à l’écoute de ce dernier chapitre, Masibol, on ne peut que donner raison à Ralph Thamar. Le son "Malavoi", aussi intense que virtuose, ne ressemble à nul autre. Et le groupe n’a rien perdu de son éternelle jeunesse, de son insatiable curiosité, de l’audace de ses débuts. Sur ses pistes au groove impeccable, se croisent leurs célèbres arrangements de cordes, des envolées de piano classique, des accents de salsas, des mélopées lyriques dignes de musiques de films, des quadrilles, des réminiscences de biguines, des percussions chaloupées, et bien sûr, ce créole qui danse, comme une poésie, comme une flamme, sur ces paysages de sons hauts en couleurs. De façon orchestrale, Malavoi hybride toutes les influences croisées sur sa route, créolise naturellement ses héritages, et en brode son identité, une identité si forte qu’elle constitue désormais la bande-son d’une île. Alors, bien sûr, il y a cette "pâte", que Ralph Thamar définit ainsi : "Malavoi, c’est une écriture, la façon dont nous organisons la musique, dont nous inventons les arrangements, clef de voûte de nos créations."

L’Université Malavoi

Au fil de sa longue épopée, la tribu Malavoi a vu défiler dans ses rangs plus d’une centaine de membres. Son chanteur, ancien banquier, résume joliment : "C’est ici que nous faisons nos Humanités. Malavoi fut mon université."
Et comme dans tous clans, comme dans toutes les institutions, dans toutes les écoles, Malavoi possède ses codes d’honneur, ses respects quasi hiérarchiques entre membres, pour transmettre décennies après décennies, ce qui a fait leur succès : la mise en musique de l’âme martiniquaise. Ainsi, pour ce disque, de nombreux musiciens du groupe, dont Nicol Bernard, ont apporté des compositions, soumises à l’approbation collégiale. Mais pour les sacro-saints arrangements, c’est, pour la première fois, Jacky Bernard, mythique claviériste du groupe de jazz Fal Frett, qui s’y colle. Tamar explique : "Il nous accompagne depuis le début des années 1980… Le moment était venu pour lui: son propos était mûr." Certains autres arrangements sont signés du jazzman Grégory Privat, fils de José Privat : une certaine idée de la filiation. Quant aux textes, ils émanent des paysages intérieurs du parolier et poète Roland Brival.

La terre des Amazones

Le titre Masibol, terme issu de l’Antiquité, désigne en Martinique, les femmes puissantes, fortes, et dresse un hommage à ces guerrières qui tiennent le pays et la société. Si le disque se veut un remerciement à toutes les femmes du monde, il salue en premier lieu les Martiniquaises, comme l’exprime avec tendresse Ralph Thamar : "Des femmes fières, avec un tempérament fort, capables de décisions souvent unilatérales…" Le chanteur complète : "Une légende raconte que la Martinique était la seule île des Caraïbes peuplée de femmes, du temps des Améridiens… Et quand ces Amazones avaient besoin de maris, elles allaient les capturer là où ils se trouvaient." Par extension, Masibol se réfère à la Martinique, terre maternelle, nourricière, féminine : femme puissante.

Et c’est bien de cela dont il s’agit dans les paraboles délivrées par Roland Brival: de l’évolution de l’île. Ainsi, dans son titre pivot, Masibol, il y a cette phrase clé (traduite ici en français) : "Plantez, arrosez ! C’est le dollar qui a poussé !" Comme une invitation à s’occuper de sa propre terre, pour la faire fructifier et ne pas la laisser entre de mauvaises mains…

À ses débuts, le son Malavoi sonnait comme une revendication, la fierté de racines brandies haut. Et pour Ralph Thamar, au final, rien n’a changé, même s’il assume une position radicale par rapport à certains autres membres du groupe : "Toujours combatif, je reste un nationaliste martiniquais. Je veux être citoyen d’un pays souverain. Et mon pays, c’est la Martinique. Voici ce qui m’anime. J’espère que mes petits-enfants auront le bonheur de connaître cette émancipation." Et pourtant, nuance-t-il : "Les mentalités ont changé. Nous sommes moins impliqués. Il est désormais plus difficile de faire peuple, comme dans toutes ces sociétés modernes, qui vous coupent de vos racines."

Mais Ralph Thamar l’assure : l’étincelle Malavoi restera vive en lui jusqu’à son dernier souffle, jusqu’à la dernière seconde. Et voici peut-être pourquoi ce groupe vibre si fort, y compris hors des frontières de son île: il se charge de l’amour indéfectible que lui portent ses membres

Malavoi Masibol (Aztec Musique) 2020

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