"Maghreb K7club" : Lyon sur du bon raï

Maghreb K7 Club © DR

La compilation Maghreb K7 Club (Synth Raï, Chaoui & Staifi 1985-1997) exhume les trésors du raï à Lyon sortis en moins d'une décennie. Émouvant et précieux.

En janvier 1986, le festival de raï à Bobigny laisse éclater, pour la première fois, aux oreilles de l’Hexagone, cette "new wave enragée d’Oran", selon le titre de Libération à l'époque. En 1998, l'album 1,2,3 Soleils du trio gagnant Faudel, Khaled, Rachid Taha remporte un Disque d’or, tandis que le concert du même nom subjugue un Bercy archi-comble.

Entre ces deux dates, le raï, né des cabarets d’Oran, produit et grandi à Paris, bande-son électrique de la deuxième génération d’émigrés, mix de rock et de traditions, a gagné ses lettres de noblesse, jusqu’à submerger la France entière.

Les épicentres du raz-de-marée se situent à Barbès (Paris XVIIIe) et dans le quartier de Belsunce à Marseille… Mais aussi, de façon plus méconnue, à mi-chemin entre ces deux villes, à Lyon, ville dont il est question sur cette compilation passionnante, sortie sur le formidable label Bongo Joe.

Sur les pentes de la Croix-Rousse ou à la Guillotière, deux quartiers populaires, s’est développée une scène, certes moins médiatisée, mais tout aussi pertinente qu’à Paris ou Marseille. Autour de la Place du Pont, s’est ainsi organisé un microcosme raï, tissé de musiciens, d’éditeurs, de boutiques, de restaurants, de bars…

Du disco dans le staifi

Dans ces cafés de l’immigration, où l’on venait noyer son exil au creux des discussions, au fil des jeux et des chansons, tout le Maghreb et ses rythmes s’hybridaient, en de joyeux mélanges, pour créer des musiques nouvelles.

À ces métissages musicaux, s’ajoutaient les épices glanées en France ou en Occident : là, un zest de cha cha ; ici, une pincée de tango ; ailleurs encore, les flonflons d’un accordéon. Ainsi, sur cette compil, Nordine Staifi saupoudre son raï de riffs funks, de paillettes disco. Et sur tous les sons de l’album, synthétiques, gouailleurs, percutants et suaves, se pose la poésie brute des artistes lyonnais.

Le raï signifie "mon opinion". Et à Lyon, comme à Paris ou Oran, les musiciens chantent sans fard l’amour, le déracinement ou la misère...

L’explosion du style tient, quant à elle, à celui d’un support : la K7, qui démocratise à grande échelle les moyens de production et de diffusion. A Lyon, émergent trois labels – Top Music, Merabet et SEDICAV… Et toutes leurs créations prolifiques partent en camion, direction Barbès !

Aujourd’hui, cette compilation exhume les trésors de cet âge d’or lyonnais, de 1985 à 1997 : des chansons lancinantes et irrésistibles, tourbillonnantes et lascives, vestiges d’une époque enfouie. Le plus émouvant reste que ces pépites proviennent d’artistes inconnus.

Le livret rend ainsi compte de leurs destins d’anonymes : Nordine Staifi, mort en 1989 ; Mokhtar Mezhoud, décédé, était chauffeur de bus ; Rabah El Maghnaoui, officie aujourd’hui comme chef d’équipe dans le nettoyage des trains à Lyon. Ce disque rend hommage à leurs vies, à leurs créations éphémères : des morceaux de mémoires, des fragments de l’immigration, qui racontent un bout de leur ville… Un héritage précieux, à chérir et à conserver.

Compilation Maghreb K7 Club (Les Disques Bongo Joe/Sofa Records/l’Autre Distribution) 2020