« La situation est catastrophique », s’alarment en chœur tourneurs et managers dans le secteur des musiques du monde, une filière dont les activités sont organisées essentiellement à travers un réseau de petites structures, dont l’économie fragile est frappée de plein fouet par la pandémie de coronavirus. Ici, comme dans les autres genres musicaux, les annulations de concerts sont tombées en cascade. Le 13 mars, beaucoup ont vécu un vendredi noir. « J’ai annulé vingt-six concerts », précise Corinne Serres, directrice de Mad Minute Music : les tournées de 3MA et de Grèn Sémé, et des dates de Salif Keïta, Ballaké Sissoko et Vincent Segal, Jowee Omicil, Thibault Cauvin, Mariama, Flavia Coelho…
Ce même jour, Amélie Salembier, de Molpe Music, a dû se résoudre à faire de même pour plus d’une vingtaine de concerts – de Oum, Elina Duni, Keyvan Chemirani et Vincent Peirani – qui devaient avoir lieu entre le 15 mars et le 10 avril. « Il est encore difficile pour nous de chiffrer le montant des pertes sèches, à savoir les voyages et autres frais – visas, hôtels, promotion – qui ne nous seront pas remboursés ou seulement partiellement pour les voyages, mais il est d’ores et déjà certain que notre trésorerie ne nous permettra pas de maintenir l’emploi des deux salariés permanents de la structure dans les deux mois à venir, déplore-t-elle. L’annulation de ce qui représente 20 % du chiffre d’affaires annuel de la structure paraît à ce jour totalement insurmontable économiquement. »
« Accident industriel »
« Suite aux mesures prises en France et à la fermeture des frontières, nous voyons tous nos concerts s’annuler les uns après les autres », déclare de son côté Mathieu Petolla, régisseur de production et manager d’artistes vivant en Afrique de l’ouest (les Ghanéens Fokn Bois et King Ayisoba, le groupe nigérien Les Filles de Ilighadad…). « Nous avons dû prendre la terrible décision d’annuler la tournée des Filles de Ilighadad, qui après des dates européennes devaient rejoindre les Etats-Unis, poursuit-il. Le groupe perd de ce fait une année de revenus pour lui et sa famille. Dans un pays comme le Niger, où il n’y a ni allocations chômage, ni sécurité sociale, on mesure l’impact douloureux que cela puisse avoir. »
« Moi-même, en tant que régisseur et manager indépendant, ajoute Mathieu Petolla, je perds quasiment 80 % de mes heures de travail nécessaires au renouvellement de mon intermittence du spectacle, l’agent américain perd un an de travail et d’investissement financier et le label [Sahel Sounds] perd l’occasion de vendre des quantités de disques pendant la tournée. » Ce qui se passe actuellement, conclut-il, est « une catastrophe économique majeure pour tout le tissu culturel français et les artistes qui en dépendent ; si aucune mesure d’urgence n’est prise, c’est un véritable accident industriel qui va se produire, avec une multitude de structures qui mettront la clé sous la porte, ainsi que des milliers de travailleurs du secteur qui se retrouveront tout simplement sans revenus et sans Sécurité sociale en 2021. »
Il vous reste 54.53% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.