Cinq sur cinq

Langues vivantes

Une vague de musiciens s’empare de l’occitan ou du breton pour moderniser les traditions régionales.
par Antoine Gailhanou
publié le 29 janvier 2021 à 18h16

Dans toute la francophonie, une vague de nouveaux musiciens s’empare de leurs traditions régionales pour en livrer une relecture modernisée, refusant toute forme d’intégrisme. Parmi eux, le jeune sextette San Salvador, qui pourrait bien devenir leur ambassadeur. En choisissant leur langue régionale, ces Corréziens prouvent qu’elle exprime parfois mieux que le français les tourments contemporains. Et si on ne comprend pas les mots, on saisit la sincérité qu’ils portent.

1 - San Salvador

Six voix, quatre percussions. C’est tout ce qu’il leur faut. Venus non pas d’Amérique centrale mais des environs de Tulle, en Corrèze, ces amis d’enfance ont très tôt baigné dans le répertoire traditionnel. Mais ce qu’ils font ensemble dépasse largement cette sphère. Leurs polyphonies d’une incroyable intensité convoquent les contrepoints de Steve Reich comme l’énergie d’un concert de rock. Durant parfois quinze minutes d’affilée, les chants s’entremêlent, répètent ces mots inconnus, comme des formules magiques, tandis que les percussions plongent l’auditeur dans une transe délirante. Pour leur premier album, sorti le 22 janvier sur le label aquitain Pagans, ils ont manifestement enregistré séparément, perdant en énergie mais gagnant en netteté. On attend donc avec impatience de les revoir en concert.

2 - Rodìn

Rodin Kaufmann n’est pas un débutant. Après avoir grandi entre le Maroc, l’Egypte et le Liban, il arrive adolescent à Marseille. Le patrimoine occitan y est encore très vivace, avec notamment Massilia Sound System ou le chanteur Manu Théron. C’est au côté de ce dernier que Rodìn fait ses débuts en 2001, dans le quintette vocal Lo Còr De La Plana. Mais il rêve de quelque chose de plus moderne. En 2013, il fonde son label, Pantais Records, démarrant une carrière solo et un nouveau groupe, Uèi. Les polyphonies occitanes rencontrent cette fois un rap sauvage et puissant. Perfectionniste, Rodìn sort son premier album dans quelques jours, distribué par le label américain Fake Four. Le rappeur y a digéré toutes ses influences, réunissant en sept titres kaléidoscopiques la Provence, la trap et une sensibilité unique. Garanti sans «repli identitaire».

3 - Krismenn

Pour lui, le breton est plus qu'un folklore. Que Christophe Le Menn connaît par cœur : il a appris la musique bretonne, arpenté les scènes fest-noz et collaboré avec ses plus illustres représentants. Mais comme Rodìn, il s'y est vite senti à l'étroit. Alors il a construit des ponts avec son autre passion : le rap. Le gwerz, chant breton narratif, glisse aisément vers la scansion hip-hop. Le kan ha diskan ou «chant à danser», se fait beatbox, avec son ami AleM. Puis vient en 2017 son album N om Gustumiñ deus an Deñvalijenn («s'habituer à l'obscurité»). Sur des beats croisant dubstep et folk américain, il livre un flow tout en breton, sinueux et d'une efficacité sans pareille. Les rythmes menaçants ouvrent un monde clair-obscur, aussi introspectif qu'onirique. En un mot : fascinant.

4 - Cocanha

Il se passe vraiment quelque chose en Occitanie. Ce monde est petit : Cocanha côtoie San Salvador sur le label Pagans (fondé par le groupe de prog occitanophone Artùs), et la pochette de leur deuxième album, Puput, sorti en février 2020, est signée Rodin Kaufmann. Qu'on n'aille pourtant pas croire que la musique de ce duo féminin n'existe pas par elle-même. Les ingrédients sont les mêmes que San Salvador : voix, percussions, boucles hypnotiques et passé revisité. Mais elles préfèrent baisser le tempo, pour installer une ambiance type bal populaire. Subtilement, leur emploi du tambourin à cordes, typiquement pyrénéen, finit par sonner comme un beat de house, gracieux et envoûtant. Et avec lui vient une grande force, portant à la fois une défense de la tradition, minorée dans notre pays centralisé, et une énergie féministe. Coup double, donc.

5 - Chouk Bwa & The Ångströmers

Avec les différents créoles français, on aurait pu parler de la toujours enthousiasmante scène maloya de la Réunion. Mais c'est bien de Haïti que vient Chouk Bwa - et son leader, Jean-Claude Sambaton. Perpétuant l'héritage du vaudou, à travers polyphonies et polyrythmies, le groupe sort un premier disque en 2015, avant de rencontrer le duo electro franco-belge The Ångströmers. Celui-ci va alors se mettre au service des Haïtiens, apportant de multiples effets et sonorités électroniques à leurs chants intenses et engagés. En a résulté l'électrisant Vodou Alè l'année dernière. Les deux Européens soulignent la force des percussions, la fougue du chant, sans jamais tirer la couverture à eux. Car c'est bien la tradition haïtienne qui est au cœur du disque, que chacun des deux groupes modernise à sa façon. Un vrai travail d'équipe.

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