Coronavirus : quelles aides pour un monde de la musique à l’arrêt ?

Les scènes désertées © Sergei Fadeichev

Depuis le début du confinement, le monde de la musique est à l’arrêt. Privés de concerts et de festivals pour d’évidentes raisons sanitaires, les artistes tentent de s’adapter. La question des aides aux créateurs, centrale, est posée. Mais alors que chacun tente de mesurer l’ampleur de la crise et de préparer tant bien que mal un après, les réalités semblent bien disparates.

Lorsque le confinement a été annoncé par Emmanuel Macron, lundi 16 mars, le musicien électro Molécule avait eu le temps de s’y préparer un peu. L’annulation des concerts était "déjà à l’ordre du jour depuis quelques semaines", et tous ses projets ont été remis en pause, parmi lesquels une immersion au sein de l’Orchestre national de Lille. Confiné avec sa femme et ses enfants, Romain De La Haye, de son vrai nom, a dû "trouver de nouveaux repères et travailler par rapport au temps, qui est assez étonnant dans cette période. Le temps est parfois court, parfois long. On se retrouve un peu baladé". Sans concerts, les revenus des artistes sont "divisés par 2, 3 ou 4", affirme-t-il.

En France, la musique génère 8,5 milliards d’euros de revenus par an et les pertes sont évaluées à peu plus de 800 millions, affirmait en début de mois, Jean-Noël Tronc, le directeur général de la Sacem au magazine Télérama (1). Selon le Syndicat national du spectacle musical et de variété (PRODISS), qui représente les producteurs, des salles de concerts et les festivals, 37 900 emplois seraient menacés dans un secteur très majoritairement composé par des très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME). La facture devrait encore s’alourdir, la crise liée au Covid-19 s’inscrivant dans la durée.

11, 5 millions d’euros de fonds d’urgence

Chez Mad Minute Music, producteur de Salif Keita et tourneur de nombreux artistes africains, on travaille au jour le jour. Après chaque allocution présidentielle, il s’agit surtout de reporter les tournées annulées. Dans ce contexte inédit, les aides deviennent essentielles. "En tant que producteur de spectacles et adhérent du Centre national de la musique (CNM), on a un certain nombre d’aides en temps normal : aides aux tournées, aide à la création, aide à l’export, etc. Mais comme il n’y a plus d’activité, il n’y en a plus. Par contre, le CNM, a créé un fonds de secours pour toutes les entreprises. C’est une aide entre 8000 et 11 000 € par entreprise. Ce qui couvre environ un mois de notre fonctionnement", détaille Corinne Serres, qui dirige Mad Minute Music. À l’heure de l'écriture de ces lignes, la productrice voyait son dossier d’aide d’urgence refusé, au motif qu’il n’était pas prioritaire. Mais elle ne perd pas espoir d’y avoir droit.

Ce fonds de 11,5 millions d’euros accordé au CNM a fait partie des premières mesures annoncées par le gouvernement afin de soutenir le secteur de la culture. Mais en ces temps de crise sanitaire, un train de mesures en cache parfois un autre. Dès le mercredi 19 mars, le ministère de la Culture a annoncé à la neutralisation de la période allant du 15 mars à la fin du confinement pour le calcul du montant et le versement des indemnités des intermittents, "afin que les personnes arrivant en fin de droit pendant cette phase de l’épidémie puissent continuer à être indemnisées". S’il se considère aujourd’hui plutôt "privilégié", Molecule "n’oublie pas tous les artistes qui n’ont pas le statut".

Les sociétés d’auteurs et de producteurs ont aussi annoncé des mesures exceptionnelles. Le 14 avril, la SCPP, société civile des producteurs phonographiques, a adopté un plan de soutien de 9 millions d'euros. Dès le début de la crise, la Sacem a mis en place un fonds d’urgence de 6 millions d’euros pour les artistes. L’aide accordée peut aller de 1 500 € à 5 000 €, selon le cas. Une avance de 10 % sur les droits d’auteurs est aussi prévue. 1 million a aussi été accordé aux éditeurs de musique. 

Si les artistes africains tournant en France n’ont pas droit au statut d’intermittent, beaucoup sont sociétaires de la Sacem, grâce à laquelle ils touchent leurs droits d’auteur. "Il faut une juste rémunération par les Gafa. Ces géants du numérique se font du beurre sur le dos du virus, n'ont jamais autant gagné d'argent. Sinon, en 2021, c'est 50% des acteurs culturels qui vont disparaître dans le monde", a de son côté estimé Jean-Michel Jarre, président de la Confédération Internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC), auprès de l ‘AFP.

Une impossible reprise rapide

De nombreux pays européens et latino-américains ont annoncé des aides exceptionnelles, allant de l’avance de droits d’auteur à une extension de la couverture sociale. En France, l’annonce du prolongement du confinement jusqu’au 11 mai, par le président de la République, Emmanuel Macron, s’est accompagnée d’une annulation des festivals d’été se tenant jusqu’à mi-juillet, et du fait que les salles de spectacles ne rouvriront pas à cette date.

Avant même cette allocution, le syndicat CGT a demandé la mise en application des mesures annoncées en début de crise, notamment  la prise en charge au titre de l’activité partielle pour les contrats annulés à cause du Covid-19. Pour les intermittents, elle appelle à un accès au droit à l’assurance-chômage un an après le déconfinement et à une concertation avec le gouvernement.

"On y voit clair dans le confinement, mais pour la sortie, on n’y voit pas clair du tout, explique Thierry Gautier, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens de France  (SNAM-CGT). Quand le confinement sera levé, les spectacles ne reprendront pas. Et quand ils reprendront, on imagine que ce ne sera que très progressivement, en termes de jauge. La deuxième cause, c’est que nos spectacles sont des productions qui se programment. Tout étant arrêté, les spectacles ne reprendront pas du jour au lendemain. À la sortie, beaucoup d’intermittents pourraient se retrouver sans droits, alors qu’ils sont dans l’impossibilité de travailler."

À partir de quand les rassemblements de foules dans un même lieu seront-ils à nouveau autorisés ? Des "petits festivals" auront-ils lieu après le 11 mai, comme l’a affirmé, le 16 avril, le ministre de la Culture, Franck Riester, sur les ondes de France Inter, suscitant l’incrédulité de nombreux professionnels de la musique ?  À quelle date les artistes les artistes voyageront à nouveau d’un pays à l’autre ?  L’après confinement pose d’ores et déjà beaucoup de questions.

Chez Mad Minute Music, les spectacles sont reprogrammés à partir de septembre 2020 et jusqu’au premier semestre 2021. Si elle tente tant bien que mal de travailler à la saison prochaine, Corinne Serres imagine d’ores et déjà une reprise "chaotique". "On va voir ce qu’aura laissé ce traumatisme. Je pense que les jeunes vont vouloir reprendre la vie, l’éclate, les concerts et le fait de se retrouver tous. Mais sur une tranche d’âge un peu plus familiale, il va y avoir pas mal de craintes à se retrouver dans un espace clos", estime-t-elle.

Le musicien Molécule a, quant à lui, initié la compilation Music for containment (2), trente-trois artistes de tous horizons, qui livrent chacun un morceau d’ambient. Des morceaux d’électro planants pourront, sans mal, aider à méditer sur cette période de confinement.                                                                                                                                                                                                            

(1) Auteurs de musique, désastre annoncé, Télérama n°3664 du 1er avril 2020, p.15.
(2) La compilation Music for containment est uniquement disponible sur les plateformes de téléchargements et de streaming. Les bénéfices sont reversés à la Fondation de France.

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